Trauma et dissociation chez les enfants et les ados
Les enfants éprouvent souvent une certaine inhibition pour évoquer leurs difficultés et cela tient au développement encore immature de leur néocortex cérébral. Il leur est difficile d’établir des liens associatifs comme peuvent le faire plus spontanément les adultes.
C’est la raison pour laquelle les scénettes imaginatives, ou ce que le clinicien nomme les projections faites sur des peluches, des animaux imaginaires, des personnages et objets du quotidien.. sont autant de supports ludiques qui viennent accueillir et donner forme à la pensée de l’enfant.
En EMDR, des protocoles spécifiques permettent d’exercer cette pensée imaginative et de la déployer en toute sécurité. C’est notamment le cas de l’exercice de « la salle diplomatique » pour les adultes, espace prévisualisé en séance qui offre un lieu tiers pour parler et laisser s’exprimer le Soi (PAN : partie apparemment normale) et ses autres Soi ( PE: parties émotionnelles) - la PE de mes 5 ans, PE de mes 15 ans, ou encore, la PE en colère, ou la PE qui panique...
« Les parties émotionnelles (PE) sont des parties de soi plus ou moins dissociées et dont on a plus ou moins conscience. La PAN vous représente vous, avec vos goûts, vos envies, etc. C'est un peu comme une vitrine que l'on donne à voir au monde et aux autres ». Nicolas Diespiendras.
La Pratique de l’EMDR suppose que l’enfant se sente bien et ait la capacité de s’auto-réguler émotionnellement avant d’aborder ses difficultés et trauma psychiques.
La mise en œuvre et la pratique de la « salle de jeux et des mots doux » que j’ai pris le parti de renommer et d’adapter en direction des enfants, constitue une sorte d’interface entre le monde quotidien de l’enfant et son monde intérieur.
Ce dispositif de « la salle de jeu » est particulièrement efficace lorsque l’enfant ne parvient pas à exprimer les difficultés qu’il éprouve, et lorsqu’il traduit notamment une dissociation* suite à un TSPT (stress post traumatique face un événement violent) ou encore suite à de micro trauma successifs et répétés, comme la crainte des disputes parentales, les reproches ou paroles blessantes, les troubles du comportement, troubles du sommeil, angoisse de séparation, trouble alimentaire (TCA) et sphinctérien (Encoprésie) ...
Petit détour clinique : notons que la dissociation* est un terme qui fait peur et qui renvoie le plus souvent à des troubles psychiatriques.
Lorsque l’on s’intéresse à la clinique du trauma, les cliniciens distinguent la dissociation psychotique liée aux maladies psychiatriques (comme la schizophrénie par exemple) de la dissociation émotionnelle et corporelle qui apporte une protection à la personne face à un trauma qui la déborde émotionnellement. Il s’agit dans le cas d’un TSPT d’un mécanisme de défense, protecteur et salvateur.
La dissociation traumatique vient d’ailleurs d’être admise comme symptôme pathognomonique du TSPT dans le DSM5 (manuel diagnostic) et se distingue maintenant clairement de la dissociation psychotique.
Emdr - Enfant : l’Imagination au service de l’auto-régulation.
La salle de jeux et des mots doux » se construit progressivement à l’aide de la parole, ou du dessin, de Kapla, … voire de Minecraft parfois, selon les affinités des enfants !
Je l’utilise généralement lorsqu’un blocage dans le travail thérapeutique se fait sentir du fait d’une insécurité trop importante pour l’enfant.
Ce lieu sécurisé et calme, visualisé en séance à l’aide de mes indications, dispose des mêmes qualités que le lieu sur ou lieu de bonheur (exercice de stabilisation en EMDR).
L’enfant construit cet espace pour lui (la PAN : partie apparemment normale), et va progressivement inviter les autres soi (PE : parties émotionnelles) à venir jouer et/ou discuter d’un problème qu’il rencontre et qu’il ne parvient pas à résoudre seul.
Les enfants n’ont pas encore conscience de l’intégralité de leur identité. Ainsi, d’autres figures symboliques tutélaires importantes pour eux peuvent se manifester de façon déguisée (le doudou protecteur, les parents..), dans cette salle de jeu et des mots doux.
Finalement, ce lieu tiers « la salle de jeux et des mots doux » apporte une sécurité supplémentaire à l’enfant. Il peut s’y regarder jouer sans danger. L’émergence de ses parties plus inconscientes (PE) sont alors mobilisées avec plus de facilité que dans l’approche par le jeu, et mieux identifiées qu’en psychothérapie classique.
Cette mise en recul, comme si l’enfant se regardait jouer dans un dessin animé, lui permet dans un premier temps l’installation de ressources positives (les décors, les jouets, le mobilier..) et dont il peut se servir pour avancer progressivement sans se sentir menacé par sa problématique.
Ses ressources, parallèlement, seront d’un appui essentiel pour l’élaboration du scénario personnalisé et réparateur par l’enfant.
Ce travail de mise à distance et de prise de recul par l’enfant lui permet ainsi de réduire le conflit psychique qui siège en lui et de lui donner une issue plus favorable.
Cette salle de jeux et de mots doux aux multiples facettes trouve ainsi de nombreuses applications cliniques pour travailler avec les enfants.
Le travail clinique d’Emdr en salle de jeux et des mots doux
Emdr - Ado : la Phobie Sociale ou comment Antonin se protège du monde extérieur en se barricadant dans sa « salle de jeux Minecraft »
Prenons l’exemple d’Antonin, un jeune pré-ado ne trouvant pas bien sa place à l’école et qui manifeste le besoin d’être solitaire plutôt que d’être mal accompagné ou en d’autres termes une phobie sociale.
Il s’est construit dans une forteresse impénétrable ! Sa chambre et Minecraft, jeu vidéo à l’aide duquel il s’est lancé dans la construction intégrale d’une ville, depuis 4 ans, sont devenus ses principaux refuges.
Seul dans sa chambre, Antonin a construit brique près brique visuelle, un hôtel, puis un hôpital, un hippodrome, des ascenseurs à eau pour grimper d’un étage à l’autre, un aéroport, une piscine olympique, un labyrinthe végétal, une mairie, un aéroport… tant d’espaces immenses et confortables dans lesquels pourtant aucune vie n’est apparente, ou plutôt seulement une, celle de son personnage qui le représente dans cette immensité de décors agencés, tel un fabuleux architecte avec une certaine dextérité et authentique inventivité.
Antonin évolue dans cette ville, libre, et grandit avec elle. Il y a déployé tout le confort matériel nécessaire, et dit ne jamais éprouver le besoin de communiquer ni d’interagir avec autrui. Antonin me soutient qu’il ne peut pas construire de nouveaux personnages, parce qu’ils se comporteraient mal dans sa ville et qu’ils l’endommageraient. Voici comment Antonin se définît mentalement : il ne réalise pas encore que cette ville et tous ces éléments caractérisent son monde intérieur : solitude, phobie sociale, besoin d’espace, de grandiose et grande inventivité..
Antonin, comme il le suggère avec sa ville fantôme, ne veut pas discuter en séance avec un psy, il évite formidablement bien les sujets qui pourraient « le fâcher » et s’empresse de tenter de détourner mon attention par d’innombrables stratagèmes.
« L’enfer c’est les autres », disait Sartre.
Mais finalement ce ne sont pas tant les autres qui posent un problème mais plutôt la crainte de vivre avec eux et de ne savoir comment résoudre des conflits qui pourraient les opposer.
Je propose à Antonin de travailler ces questions de fond (phobie sociale), à l’aide de l’EMDR. L’EM quoi ? Vous n’y pensez pas ! Ce n’est pas pour lui ! Et pourtant Antonin en aurait bien besoin.
C’est en effet depuis un incident provoqué par un Jeu vidéo mettant en scène un requin, quand il était petit, qu’il ne peut plus supporter d’en entendre parler, et qu’il a, là-dessus, développé une angoisse d’intrusion. Tout n’est qu’agression potentielle, telle la morsure d’un requin qui pourrait sauter sur lui sans qu’il ne s’y attende et l’attaquer. Aujourd’hui tous les autres semblent incarner l’agressivité de ce requin, il faut dire qu’il a été bien moqué et malmené en 6eme. Ses peurs s’articulent en effet autour d’une phobie sociale particulièrement envahissante. Depuis, il n’a jamais vraiment trouvé sa place avec ses pairs.
Quel joli clin d’œil si ce petit trauma (t), issu de ce premier jeu vidéo (déplacement psychique en phobie sociale actuelle), pouvait trouver sa résolution, une résilience à travers la construction de son propre jeu vidéo à l’adolescence !
Les problématiques relationnelles, reflétées par Antonin dans le jeu (plus ou moins consciemment), pourront ici émerger tout en douceur dans un nouveau lieu tiers et symbolique s’appelant justement « la salle de jeux et des mots doux » (protocole EMDR adapté aux enfants).
Voyons si nous pourrons nous appuyer sur cet espace symbolique, qu’il a lui-même déjà créé (une ville entière dans Minecraft) pour faire progressivement réémerger toutes les parties (plus ou moins dissociées) qui siègent en lui, et parvenir dans un second temps à les faire se réassocier.
Dans ce contexte clinique, il est essentiel de respecter les défenses du jeune patient qui viennent le protéger d’un grand danger psychologique : tel que le déséquilibre, la peur, la panique, l’angoisse…
Pour stabiliser et rassurer Antonin, je dois rivaliser d’ingéniosité. Minecraft est une source inépuisable de résilience psychique pour les jeunes. J’ai déjà, par le passé, réalisé quelques thérapies enfant via cette médiation.
Alors pourquoi ne pas l’associer à l’EMDR et développer ainsi, une plus grande stabilité émotionnelle chez Antonin, en le faisant élaborer « la salle de jeux et des mots doux » à l’intérieur même de son jeu favori Minecraft, matériel qu’il affectionne.
Cette fois, Antonin est partant ! Pourquoi pas, me dit il !
Cet exercice de stabilisation consistera donc à la mise en lien du Soi (PAN), image qu’il donne à voir aux autres et aux monde, et de ses autres soi (PE): l’enfant qui a peur de grandir et qui s’auto-critique sans cesse, entre autres...
Il s’agit de toutes les parties émotionnelles de l’enfant qu’il ne peut nommer mais qui pour autant siègent et interagissent en lui sans qu’il ne s’en aperçoive dans son quotidien. Une fois ces parties nommées en « salle de jeu et des mots doux », Antonin se sentira mieux et pourra les réunir en lui, diminuant ainsi leur distance et lui redonnant un sentiment plus grand de solidité et d’unité interne, pour affronter les autres et le monde.
Emdr - Enfant : L’angoisse de Séparation ou comment Lili lutte contre sa peur de grandir
Prenons l’exemple de Lili, cette petite pré-ado à la sensibilité exacerbée qui ne peut plus aller dormir chez ses amies et chez ses grands-parents, depuis qu’elle a été en colonie. En effet, cette colonie a marqué un tournant décisif dans sa représentation de la séparation parentale qui, jusque-là n’avait pas vraiment été élaborée. Les amies et les grands parents étaient pour Lili comme une continuité de soi familiale.
Mais lorsque Lili a été confrontée à cette séparation d’avec ses proches, le vide et l’angoisse se sont emparées d’elle et une PE (celle qui ne voulait pas grandir), qu’elle ne connaissait pas, a pris le contrôle de son corps, de son cœur, lui laissant, dans le même temps un sentiment de profond clivage en elle. En effet, en raisonnant, Lili comprenait bien que ces émotions violentes et comportements inquiets n’avaient pas de sens. Mais son corps fébrile et sa peur terrifiante des spasmes se sont emparés d’elle. Impossible de se contrôler !
Maintenant entrée dans sa salle de jeux et des mots doux, Lili s’approche de la porte qui donne vers ce qu’elle méconnaît d’elle-même (porte de son inconscient où se trouvent ses PE) et laisse entrer son petit invité : il s’agit pour elle de son doudou, qui est venu en renfort pour lui filer un coup de main. Cette extension d’elle-même semble lui apporter force et réconfort dans l’adversité.
Ensemble, ils repartiront sur les traces de la colonie de Lili, et pourront observer, en lieu sûr, le déclencheur du séisme émotionnel qui l’a tant fait vaciller.
Attablés tous ensemble, les enfants mangent leur chips et boivent leur soda pendant que Lili aperçoit au loin à l’horizon l’appartement de vacance familiale qui n’est qu’à quelques pas d’elle et où logent au même moment ses parents.
L’impossibilité de les y rejoindre s’impose alors à elle.
Que ferait son doudou en de telles circonstances ? Il construirait un mur de briques violettes pour obstruer volontairement le paysage donnant sur l’appartement de ses parents, ce qui lui permettrait dans un second temps de les « Oublier », sans culpabilité, pour se consacrer à sa petite soirée. Lili a comblé son vide. Et voici un problème de taille résolu en quelques murs de briques !
Ce mur de briques violettes : quelle expérience (E) magnifique (M) de (D) réconciliation (R) !
Le scénario réparateur, imaginé par Lili, et soutenu par la venue de son doudou auquel elle a donné vie en salle de jeux et des mots doux, a ainsi pu émerger sans stress et apaiser pleinement Lili.
Soulignons la jolie métaphore du mur de briques qui, s’avérant bien solide, contient parfaitement l’angoisse, et s’est finalement élevé pour faire évoluer le petit enfant en elle qui avait si peur de grandir.
En d’autres termes, la salle des mots doux est un espace interne où tout peut se dire, se réparer, se reconstruire et dans lequel les forces de l’enfant vont pouvoir s’exercer et démontrer tout leur pouvoir et richesse.
Une fois ces scenarii réparateurs reconstruits par l’enfant, la situation problématique n’est plus abordée sous le même angle et l’enfant se sent alors plus fort et dispose de solutions qu’il a lui-même développé avec succès, trucs et astuces qu’il pourra réutiliser naturellement dans son quotidien après les séances.
Emdr - Enfant : Se sentir invisible ou comment Maya cherche à trouver sa place dans la famille
Maya est une petite fille sensible et créative âgée de 10 ans qui vit sous les projecteurs très attentifs de sa maman et la désapprobation de cette relation fusionnelle de son papa. Elle ne sait pas comment trouver la bonne place au sein de sa famille et a développé des angoisses abandonniques le soir, elle ne peut dormir seule et « tyrannise » ses parents au point de contrôler toutes les soirées et les nuits de la vie de famille
Arrivée dans la salle de jeux et des mots doux, Maya mentalise alors trois trappes, donnant sur trois autres salles indépendantes.
Une véritable enquête psychique s’offre alors à nous et à l’aide des SBA pratiquées en EMDR (stimulation bilatérales alternées), Maya dessine mentalement des personnages (PE), libérant ainsi sa pensée cachée, et mettant alors en évidence ses croyances négatives et émotions. Et voici ce que nous finissons par découvrir ensemble :
La première trappe donne sur une salle exiguë et sombre accueillant une Ourse polaire blanche joyeuse mais particulièrement à l’étroit (symboliquement sa maman).
La seconde trappe donne sur une belle pièce en sous-sol vaste et lumineuse grâce à son plafond-verrière et réjoui son habitant : le mouton bleu (symboliquement son papa).
Quant à la dernière trappe, il s’agit d’une pièce exiguë et noire au milieu de laquelle est posée un pot de fleur au sol, une fleur qui n’a pas poussée (symboliquement la petite fille) et qui doit changer de pot/peau, me dit Maya.
Maya invite ensuite toutes ses PE (Ourse, mouton bleu et pot sans fleur) à rejoindre sa salle de jeux et des mots doux.
Nous allons ensemble tenter de réassocier cette distance entre SOI et ses autres soi, de sorte à lui redonner une sensation d’unité corporelle. À l’aide de cet exercice de réunion familiale, Maya se sentira plus présente dans l’ici et le maintenant et davantage en contrôle de sa vie.
Plusieurs axes de résilience sont alors évoqués : faire une salle plus grande et plus lumineuse pour l’Ourse, laisser le mouton tranquillement brouter dans son espace personnel sans le déranger, et changer de pot pour que la fleur puisse enfin pousser.
Témoignage des patients en EMDR
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Forum : Questions / Réponses EMDR Enfants et Adultes
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Article complémentaire en EMDR
La Thérapie EMDR soigne aussi les traumatismes des plus jeunes
Voici une vidéo, à destination des enfants et des ado, qui explique ce qu'est la thérapie EMDR :
La thérapie EMDR expliquée en moins de deux minutes
Voici deux vidéos qui expliquent à travers deux témoignages l'application de la thérapie EMDR chez les enfants et les ados :
La thérapie EMDR chez les enfants âgés de 8-12 ans
La thérapie EMDR chez les personnes âgées de 12-18 ans
Pour celles et ceux qui souhaitent en savoir d’avantage, voici les brochures officielles de l'IFEMDR proposées aux adultes et aux enfants
Celine Bidon-Lemesle
Psychologue Clinicienne
Formée à L’Institut Français d’EMDR (IFEMDR), Paris.
Thérapie EMDR proposée aux Enfant/ Parent, Famille, Ado, Adulte et Couple.
Cabinet situé au :
3, rue Lucien Sampaix
75010 Paris
www.accueilpsy.fr