Ce virus frappe à égalité dans le malheur
« Ce n’est pas dans l’égoïsme et l’individualisme que l’on s’en sortira », ne cesse de nous rappeler la communauté asiatique, qui repère chez nous, occidentaux, un système et civisme très différents, probablement plus individualistes et portés sur « l’entre soi ». Les européens et les grandes puissances économiques ont toujours pensé que cela ne les concernait pas, péché d’orgueil sans doute.
Le monde occidental, blessé en son sein, s’insurge contre les dits « mensonges » proférés par l’hémicycle asiatique. On nous aurait caché le nombre réel de morts... A qui la faute ? Qui est responsable ? Qui a vu ? Qui n’a pas voulu voir ? Qui a parlé ? Qui n’a pas voulu entendre ? Pourtant, à l’ère de la mondialisation et d’internet, de nombreuses vidéos circulaient déjà sur le sujet en décembre 2019… Qui veut entendre aujourd’hui que Wuhan déconfine au compte-goutte ? Trop attachés à nos libertés, nos vacances, nos fêtes…, qui veut bien croire que les crèches, les écoles et les universités ne rouvriront pas chez eux avant septembre, pas loin de neuf mois après le début de leur confinement ? Serons-nous en mesure d’en faire de même ? A quelle date cela nous conduirait, nous européens, et habitants d’outre atlantique ?
Et puis, comment comprendre également que tant de précautions soient prises (des caissières en tenue de cosmonautes, chacun masqué et tracé par une appli spéciale COVID-19) pour un retour progressif à la normale alors que les habitants devraient être guéris et/ou immunisés, gérés, l’épidémie contenue ? Rappelons-nous, en janvier 2020, les mesures prises par Wuhan en matière de confinement nous semblaient alors bien exagérées.
Qu’acceptons-nous véritablement de concéder à ce virus et ses implications réelles sur les hommes ? Pouvons-nous nous défaire de ce que nous connaissons, éloigner nos représentations habituelles, laisser les comparaisons qui nous rassurent (porteuses de lien et de sens), cesser de prédire l’action et l’issue ?
Les politiques, les scientifiques sont à l’arrêt, ils ne savent plus rien depuis une semaine. A chaque émission et interview radio, se rangeant stoïquement aux idées fondatrices de Socrate, les éminents savent maintenant…. qu’ils se savent rien. C’est peut-être mieux ainsi. Arrêtons-nous un instant, et pensons. Pensons oui, mais peut-être un peu plus à côté cette fois ! Car comme le dit si bien Albert Einstein, « Inventer, c’est penser à côté » !
Dans ce fourmillement de questions, qui sont les vrais coupables ? Vous serez probablement déçus en l’apprenant, ne s’appelleraient-t-ils pas, tout simplement, banalisation et déni ?
Quand nos mécanismes de protection s’en-mêlent
Le déni et la banalisation, mécanismes de défense, ayant tous deux pour objectif de calmer et dérouter l’angoisse que suscite une situation fortement anxiogène, ont de tous temps existé par le passé. Ils sont parfois nécessaires et mettent en latence (sur pause) cette réalité, parfois trop difficile à affronter immédiatement. Alors, si nous voulons absolument blâmer, blâmons notre nature profonde psychique, celle qui nous protège de la dépression, et nous permet, encore pour un temps, de nous croire invincibles, tels des enfants.
Certaines personnes se sentent étonnamment sereines, comme détachées et hors du temps, protégées dans une bulle protectrice, ventre maternel, dans lequel elles se sont réfugiées psychiquement. Il faudra pourtant bien en sortir de « cet autre confinement »… peu importe :
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je veux rester comme avant. J’ai décidé de tout raser, quitte à rester confiné, je ne veux pas ressembler à Hagrid. Et puis dans deux mois, tout aura repoussé comme à l’identique, et peut être pourrai-je oublier, à travers cette image statique (que le miroir me renverra de moi), ce mauvais rêve dont je ne veux jamais me souvenir.
Autant de salariés confrontés à ce même déni, mais patronal cette fois, chefs d’entreprise n’acceptant pas de modifier leur mode de fonctionnement et s’attachant à produire coûte que coûte, à majorer la cadence en dépit de cette nouvelle réalité.
Alors que la France marche à deux vitesses, le temps s’étire et s’accélère simultanément : l’une en plein bore-out, tandis que l’autre pressurisée par une cadence infernale de travail tente à coups d’anxiolytiques d’éviter de faire flancher ses travailleurs:
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Pour moi, c’est plutôt bore-out, j’ai l’impression de mentir à mon patron, je suis en léthargie totale devant mon PC connectée de 8 à 19h, bougeant de temps en temps la souris pour faire « comme si » je travaillais. Sentiment désagréable de supercherie. Il n’y a plus d’activité. Le N+2 fait lui aussi « comme si » ça n’existait pas. Il ne veut pas croire au ralentissement économique. Il est persuadé qu’on va parvenir à faire remonter les chiffres. Il refuse de fermer la boîte. Pour lui, symboliquement, elle doit fonctionner, on doit montrer qu’on est toujours vivant, qu’on reste à flot. Il est déconnecté de la réalité.
- Pour moi, par contre c’est plutôt burn-out, le jour de la « marmotte », le jour sans fin du travail qui ne finit jamais. Mon patron a décidé de me faire travailler le weekend et les jours fériés, il me dit que mon mari peut bien prendre le relais des enfants après tout, que je prendrai des vacances dans deux jours, mais qu’il faudra tout de même continuer un peu. Collusion vie privée / vie pro, on n’arrête pas le progrès !
Tomber les masques…
Dans toutes situations exceptionnelles, de catastrophes, les personnes dévoilent inexorablement leurs traits saillants. Les masques tombent et nous assistons alors à une mosaïque de comportements humains reflétant un spectre très large, continuum débutant par le don de soi, parfois même allant jusqu’à risquer sa propre vie :
- comme cette femme âgée de 65 ans qui travaille bénévolement (habituellement au secrétariat) dans une maison de retraite, traversant tout Paris chaque jour, avec pour seule et unique protection un masque en coton. La moitié du personnel s’est mis en maladie. N’écoutant que son amour du prochain, elle a décidé de troquer son stylo pour une cuillère qui passe de bouche en bouche, tandis que le médecin chef, hospitalisé cause COVID-19, motive ses troupes, tant qu’il le peut, par un SMS porteur d’espoir et de courage. Merci à vous, merveilleuse Blouse Blanche, devenue pour un temps Doc’ au grand Cœur.
La générosité, l’entre-aide, le soutien s’invitent quotidiennement sur le chemin du confinement, quand d’autres se nichent dans un certain repli, une passivité, tentant de contenir la peur et l’angoisse.
Nous observons parfois aussi une grande indifférence, irritation, égoïsme chez certains d’entre nous, ces formes de rejet archaïque nourrissant l’autoconservation. Raison pour laquelle certains habitants ont sommé à de nombreuses reprises leurs voisins-soignants de quitter les lieux au plus vite, sous couvert de se prémunir du coronavirus.
Au final, la perversité, nourrie par l’intolérance exacerbée et l’humiliation, incarne la fin de ce continuum humain. Il est probable que pour ces personnes, une pédagogie de l’empathie n’a pas pu se construire en amont durant l’enfance, en raison de carences éducatives et/ou neurologiques. Et ces attitudes « inempathiques » voire sociopathiques, d’indifférence vis à vis des difficultés et des souffrances d’autrui, ainsi que l’opportunisme en sont les marqueurs forts.
Par ailleurs, il est probable que les drames, lorsqu’ils sont collectifs, sont amortis. Nous souffrons ensemble, cela fait un peu moins mal, ou c’est tout du moins un peu plus supportable. De façon plus individuelle, ce qui compte finalement dans la clinique du post trauma, c’est plutôt de voir comment il évoluera après coup, ce que les personnes en feront et surtout comment elles parviendront à l’apaiser par la suite.
Certaines personnes témoignent, en effet, de facteurs de vulnérabilité en amont, qui se réveillent d’autant plus dans le contexte de ce confinement, en lien avec la maladie (virus, contamination, phobie..) et l’isolement.
L’impact émotionnel et psychique sera de toute évidence plus exacerbé pour cette population fragilisée comparativement aux personnes bien entourées, équilibrées, ayant pu bénéficier d’une base d’attachement affectif solide, sécure par le passé et/ou ayant fait un travail psychique réparant/structurant. Quoi qu’il en soit le « confid’ » aura déjà transformé les corps et les âmes :
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De mon côté, telle la chenille appelée à une douce et lente chrysalide, le gris s’invite dans ma chevelure à mesure que les semaines de confinement passent et repassent. Ma mue aura un effet cathartique en moi, sur ma vie, et j’en suis certaine, avec mes proches également.
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Pour ma part, j’ai fait le choix de rester chez moi, confinée dans mes petits mètres carrés, et j’ai su résister à l’appel du refuge que représente la maison de mes parents. Je me suis alors demandée : pourquoi est-ce si compliqué de rester un mois ou deux avec son mari et ses enfants ? Si tel était le cas, ne faudrait-il pas envisager de changer ? Moi je lutte pour être adulte, depuis tant d’années... et je me sens enfin solide, dans ma base, paisible, je n’ai plus besoin de fuir. Je suis devenue à force de travail, mon propre refuge. J’ai gagné mon autonomie affective, au prix d’efforts psychiques mesurables. Je peux dire aujourd’hui que je ne suis plus jalouse, j’éprouve plutôt de la compersion pour tous ceux qui ont trouvé le bon accueil et se sentent bien « chez eux ».
- Au fond, l’important est que je me sente à ma place, en cohérence avec moi-même. Ce choix cornélien de t’accompagner dans la tourmente de ton parent mourant, constituera un gain, j’en suis convaincu. Dans 10 ans, je pourrai relire cette histoire avec fierté, assuré d’avoir fait le bon choix, proche de mes valeurs et heureux d’avoir su montrer détermination et courage dans cette épreuve de vie.