* Eye Movement Desensitization and Reprocessing
Dans le conte philosophique et initiatique amérindien des deux loups, un blanc et un noir qui se battent, cachés à l’intérieur de chacun de nous, le petit indien demande à son grand père Cherokee lequel des deux va gagner ? Il lui répond: « celui que tu nourris. »
De même, dans cette lutte constante entre notre cerveau émotionnel et cognitif, lequel des deux va gagner ? La réponse apparaît cette fois plus complexe que la précédente.
Comme nous le savons, S.Freud, précurseur de son temps, a passé sa vie à analyser le fonctionnement des pensées clandestines, venant chahuter nos idées conscientes et notre libre arbitre.
Ce que nous savons moins en revanche, c’est qu’il finira pourtant par remettre en question sa propre théorie de l’inconscient à la fin de sa vie, en soulignant, dans une démarche neuro-émotionnelle plus intégrative, le lien évident entre la biologie et la psyché qu’il recommandera à ses successeurs de poursuivre d’explorer, après lui, pour en découvrir toute l’étendue et la richesse.
C’est d’ailleurs en cela, que bon nombre de cliniciens pensent que S.Freud aurait probablement aimé participer aux recherches actuelles en EMDR.
Une approche intégrative corps/esprit
« Votre raison et votre passion sont le gouvernail et les voiles de votre âme naviguante.
Si votre gouvernail ou vos voiles se brisent vous ne pouvez qu'être ballotté et aller à la dérive ou rester ancré au milieu de la mer. Car la raison, régnant seule, est une force qui brise tout élan.
Et la passion, livrée à elle-même, est une flamme qui se consume jusqu'à sa propre extinction ».
Khalil Gibran
Depuis les célèbres recherches des Dr. J. LeDoux et A. Damasio, entre autres, nous savons en effet aujourd’hui qu’il existe plusieurs cerveaux : sensoriel/émotionnel et rationnel/cognitif, imbriqués en quinconce l’un dans dans l’autre telles des poupées russes.
Reprenons la métaphore de Khalil Gibran. Imaginons maintenant ce bateau, nous. Le système limbique, Siège de notre cerveau émotionnel, en serait la voile, tandis que le cerveau cognitif, plus raisonnable représenterait le gouvernail et les instruments de bord pour avancer et orienter sa trajectoire jusqu’à destination.
Contrairement à ce que nous pensions, ce n’est pas le cerveau rationnel qui serait constamment aux commandes.
C’est probablement ce à quoi Albert Einstein faisait allusion lorsqu’il énonce : « nous devrons faire attention de ne pas faire de l’intellect notre dieu. Il a bien sûr des muscles puissants mais pas de personnalité. Il ne peut pas commander, seulement servir ! »
Le cerveau émotionnel dispose en effet d’un monde intérieur sensoriel et corporel très autoritaire, qui a pour mission de garantir notre perpétuation.
Déterminé archaïquement à survivre, il n’hésite pas à court-circuiter les décisions du neo-cortex, si danger.
Coupé de ce que lui aurait conseillé son cerveau rationnel car en proie à la panique, il est maintenant totalement recroquevillé dans sa cabine et pourrait jusqu’à laisser dériver son bateau au gré du vent et des vagues, ou au contraire s’affranchir des limites et du péril en restant sur le pont à braver le géant des mers, dans un rebond de toute puissance.
Dans ce contexte, le cerveau émotionnel verrouille ainsi toute communication avec le cerveau cognitif, qu’il met en pause. Pas le temps de parler ! Le temps n’est plus à la réflexion mais au retrait illusoirement protecteur ou à l’action inconsidérée !
Dans notre vie de tous les jours et pour éviter qu’une telle tyrannie vienne constamment déstabiliser notre équilibre corps/ esprit, nous cherchons constamment à faire communiquer nos deux cerveaux émotionnel et cognitif l’un avec l’autre.
Le poète philosophe et le scientifique se rejoignent également sur ce point …
« Privés de nos émotions et des sentiments qui les accompagnent nous perdrions nos repères profonds et nous serions incapables de choisir ce qui fonde nos besoins fondamentaux (…) Mais sans concentration, planification, ni réflexion, nous serions également ballottés par les aléas du plaisir immédiat et de la frustration. Nous deviendrions incapables de contrôler notre existence, et celle-ci perdrait tout autant son sens », nous dira le Dr. David Servan-Schreiber.
Nous aspirons tous à trouver une voie d’entente commune. C’est ce que nous ressentons lorsque l’on dit « être en phase avec nous-même ».
Le cas particulier de l’Etat de Stress Post Traumatique (Espt)
Dans le contexte particulier d’un ESPT, la panique se manifeste souvent par une coupure ou autrement dit une dissociation entre le corps et l’esprit.
Faute de mieux, ce clivage garantit souvent un équilibre transitoire et permet de continuer à (sur)vivre malgré tout. C’est la raison pour laquelle la plupart des personnes victimes d’agression sexuelle, par exemple, vivent une dépersonnalisation et se dégagent de leur enveloppe corporelle, assistant à la scène de leur viol comme si elles en étaient les spectatrices.
Aussi, certaines blessures psychiques ne laissent aucune possibilité au cerveau rationnel pour communiquer avec le cerveau émotionnel. Bien souvent les victimes n’ont pas les mots...
Les sensations corporelles et émotionnelles, qui ont été générées par le trauma, restent figées dans une partie du système limbique, c’est à dire à la traîne, pendant que le cerveau cognitif tente d’avancer sans elles.
Au lieu d’être digéré et de s’évacuer, le souvenir traumatique reste niché à l’intérieur du cerveau émotionnel, intact et prêt à ressurgir dans ses moindres détails, comme à l’origine, dès qu’une stimulation sensorielle analogue le réveille.
Car en effet, notre mémoire fonctionne par analogie. En d’autres termes, n’importe quelle situation qui nous rappelle une des composantes de ce que l’on a vécu (odeur, voix, parole, prénom, couleur, geste, situation …) peut suffire pour nous rappeler le souvenir complet.
Nous avons vu que lorsqu’un traumatisme survient, l’accès aux souvenirs douloureux se fait souvent par le corps, sensations qui ont été clivées du psychisme.
En d’autres termes, le cerveau émotionnel ne désapprend jamais l’émotion négative infligée lors d’un traumatisme, c’est la raison pour laquelle il lui est très difficile de rétablir le dialogue avec son cerveau rationnel, de crainte de voir continuellement la scène défiler incessamment sous ses yeux avec la même violence et intensité qu’au premier jour.
Il est d’ailleurs, dans ce contexte, tant inutile que dramatique de faire répéter aux victimes leurs souvenirs traumatiques, dont on sait aujourd’hui que cela blesse, et blesse encore et encore, le cerveau à chaque réitération.
De nombreux travaux ont été entrepris autour du Stress Post Traumatique afin d’aider les personnes à l’apprivoiser et lui donner une nouvelle forme. Et parmi toutes les stratégies proposées, l’EMDR apparaît aujourd’hui comme le traitement le plus efficace et adapté pour apaiser le SPT.
Le Tai* en Emdr : un travail de deuil en accéléré
*Traitement Adaptatif de l’Information
Une patiente de Francine Shapiro (pionnière de l’EMDR) exprime durant son traitement :
« C’est parti, c’est comme dans un train, on regarde quelque chose par la fenêtre qui est complètement là devant soi, et puis tout d’un coup c’est parti. C’est dans le passé et il y a quelque chose d’autre qui le remplace et qu’on regarde maintenant. Que ce soit de la beauté ou de la douleur c’est dans le passé. Comment j’ai pu me laisser affecter si longtemps par ça? ».
Ces expériences insolites sont aussi troublantes pour les patients que pour les Thérapeutes qui assistent à ce « rangement éclair » des associations libres d’idées.
Voici comment je me représente la situation et aime le raconter à mes patients avant chaque Traitement Adaptatif de l’Information (TAI) en EMDR :
« Imaginez que vos souvenirs soient tous rangés dans une bibliothèque cérébrale, votre cerveau.
Personne ne souhaite retomber sur les sensations affreuses qu’un souvenir traumatique nous rappelle.
Vous avez donc naturellement tenté durant toutes ces années de le mettre de côté, et ce souvenir traumatisant s’est maintenant mêlé à d’autres, déposé là de façon désordonnée et impactant l’utilisation fluide de plusieurs autres livres.
Empilés les uns sur les autres, non seulement l’accès à chacun de ces livres est devenu bien ardu mais il génère également une sérieuse appréhension à leur ouverture. Nous allons donc y retourner ensemble. » Celine Bidon-Lemesle
Lors du TAI, le psychologue entre avec le patient dans sa bibliothèque mnésique et l’aide à retrouver les livres positifs comme négatifs, sans les ouvrir, puis à les ré-organiser et les classer par contenu.
Il lui propose de concevoir une cartographie des ressources et des traumas en donnant à chacun de ces livres un titre et un âge.
Une fois ce travail de réorganisation mentale établie, nous choisissons ensemble d’ouvrir l’un des livres douloureux et procédons à sa réévaluation. Le retraitement de l’information traumatique commence.
Le traitement EMDR, impliquant des mécanismes communs à tous les êtres humains (mécanisme des mouvements oculaires) permet de relire et digérer chacune des lignes du livre, de façon à pouvoir par la suite les archiver.
Cet archivage, se distinguant de l’oubli, offre maintenant plus de place sur les étagères de la bibliothèque et permet ainsi une actualisation de nouveaux souvenirs utiles à la progression de la personne.
Comme dans les étapes classiques du deuil explicitées par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross (le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l'acceptation), nous assistons en quelques séances d’EMDR à leur avènement en vitesse accélérée.
Cet archivage des données, qui avait été pour un temps bloqué, retrouve maintenant sa place et sa fonctionnalité.
Car finalement ce qui fonde le sentiment de bien-être correspond à la possibilité de s’y retrouver, grâce à ce nouveau classement maintenant bien balisé et personnalisé.
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Celine Bidon-Lemesle, Psychologue Clinicienne, thérapeute EMDR.