A qui s’adressent vos ateliers ?
La philosophie est une des sciences fondamentales de la vie. Elle offre l’opportunité, notamment en situation de groupe, de s’entendre penser et de penser ensemble, ce qui peut interpeler, et rassurer aussi les participants.
La philosophie ouvre l’esprit c’est la raison pour laquelle je propose ces ateliers aux jeunes enfants dès 5 ans et jusqu’à 17 ans.
Les ateliers philo ont trouvé leur public pour deux tranches d’âge cette année : les enfants (5-7 ans) et ado (13-16 ans). Ces participants étaient issus de plusieurs CSP (Classe Socio-Professionnelle), tous intéressés par la proposition et demandeurs de revenir l’année suivante.
Car sans désir et motivation, rien ne peut se créer, ni s’ancrer. Je dirai que c’est plutôt un atelier « coup de cœur » pour lequel il faut être prêt à ressentir, penser et s’investir.
La découverte de la Philosophie ne se négocie pas. Elle se vit. Elle peut alors laisser indifférent, être appréciée voire encensée en fonction des sensibilités et du besoin auquel elle répond pour l’enfant.
D’où vous est venue l’envie de créer ces ateliers philo ?
Je crois avoir toujours aimé la philo, je l’ai d’ailleurs découverte trop tardivement à mon goût, en lisant « le monde de Sophie » au Lycée. Plutôt intuitive à l’époque, j’ai préféré me consacrer à une discipline plus concrète : la psychologie, trouvant son champ d’application dans la vie quotidienne...
Si je me suis éloignée de la dimension philosophique pour un temps, elle n’a jamais fini de m’accompagner, j’y fais référence régulièrement dans le cadre thérapeutique et mes articles. Les ateliers philo enfant/ado s’inscrivent naturellement dans cette continuité.
Parallèlement, j’ai toujours cherché à m’adapter aux besoins de mes patients et souhaité accompagner leur évolution.
Aussi, l’idée des ateliers philos m’est venue dans un tout premier temps en association du travail thérapeutique que je proposai à plusieurs ados HPI (haut potentiel intellectuel) suivis en thérapie individuelle, et pour lesquels j’avais la sensation que la situation de groupe leur permettrait de mieux s’identifier (se sentir moins seul), de socialiser (avec des jeunes gens pouvant leur ressembler et intéressés par les mêmes thématiques), de dépasser leur phobie sociale et blocages relationnels, et trouver ainsi une nouvelle voie d’expression.
De plus, la question de groupe donne une autre lecture des dynamiques relationnelles et apporte une complémentarité au travail psychique.
Naturellement et dans cette suite, il m’a semblé tout aussi passionnant de proposer ces ateliers à de plus jeunes enfants.
Sur quoi se basent vos ateliers ? Vos références ? Votre méthode et approche ?
J’utilise de nombreux supports pour étayer la parole des jeunes enfants de maternelle et de primaire... afin de rendre l’atelier très ludique, de faciliter l’émergence des associations libres d’idées et leur verbalisation.
Il s’agit d’images, de contes, de citations de philosophes, d’objets, d’extraits de musique... qui illustrent et servent toujours le fond et non l’inverse.
Mais en toute confidence, ma préférence va aux livres et contes pour enfants. Je m’en sers déjà beaucoup pour travailler sur le plan thérapeutique avec mes petits patients. J’ai à ce sujet créé une bibliothèque thématique virtuelle sur mon site pour permettre aux parents de cibler les besoins et envies de leurs enfants.
Une rubrique entière est consacrée à la philosophie adressée aux enfants et je m’y réfère souvent pour construire mes ateliers (les fables philosophiques, la collection « questions des tout-petits », et divers livres jeunesse..). J’affectionne tout particulièrement les histoires sages, farfelues et parfois absurdes de Nasredine.
Les contes philosophiques que j’utilise font résonance car ils parlent de la vie et sont sincères. Et les enfants comme les ados entendent cette authenticité.
Les contes ont cela de magique qu’ils ont l’art de créer de l’identification et d’engendrer des émotions de façon intemporelle. Ils sont parfois tristes, cruels, joyeux, mais finalement c’est au travers de leur style tant satyrique, critique qu’humoristique qu’ils font vraiment réfléchir !
Je mets souvent en opposition deux histoires qui abordent le même thème, mais sous un angle de vue et une analyse différents : c’est le début « du conflit psychique », et de là naît la didactique, ou en d’autres termes ce qui fait émerger la pensée et qui nécessite de l’argumenter et de l’approfondir.
Voici les thèmes philosophiques que nous avons abordés avec les petits philosophes de cette année : les émotions (peur, joie, colère) et les sentiments d’amitié et d’amour.
L’année prochaine je complèterai avec l’émotion de la tristesse (question de la mort) très demandée et approfondirai celles travaillées en amont à l’aide d’un matériel conçu par une collègue sophrologue (box Balasana). Je proposerai également de nouveaux thèmes tels que la confiance et l’estime de soi.
Par ailleurs, concernant le groupe ado, je documente également en amont la thématique en faisant un travail de recherche fouillé, je propose en complément plusieurs citations philosophiques et choisis des extraits de livre, film... l’atelier est très dynamique et j’offre davantage de place à l’émergence des interactions entre les participants.
Aussi, nous avons tenté de débattre cette année des questions suivantes : l’enfer est-ce vraiment les autres, dépend-il de nous d’être heureux, quelle part peut-on faire à l’être et au paraître, faut-il préférer le bonheur à la vérité, qu’attendre d’un ami ? ...
Nous avons prévu de travailler sur de nouveaux thèmes l’année prochaine comme la liberté, les valeurs, la société, la culture, le travail, l’amour,... aux travers des questions posées par les philosophes de l’antiquité et nos contemporains.
Comment se passe un atelier ? (temps, organisation du temps, moments)
Les ateliers font l’objet d’un très gros travail de préparation en amont plutôt structuré. Je choisis un thème (souvent dans la continuité de ce qui s’est dit à l’atelier précédant et qui va à la préférence des participants). Il s’agit d’une co-construction.
Les ateliers philo durent 45 minutes.
J’introduis toujours le thème ou la question posée par un premier éclairage à travers ce qu’en disent les philosophes.
Je prépare plusieurs sous parties en association des outils, décrits précédemment, pour aider à la compréhension des plus jeunes.
Je rends compte de ces proposition et provoque de la didactique au moment opportun et distribue la parole au regard de la tournure que prennent les échanges.
De façon à bien se faire entendre et être respectueux de la parole de chacun, les jeunes enfants s’expriment avec le bâton de parole.
Je sollicite et met du relief à l’expression de chaque enfant en associant leur idée à celle d’un philosophe notamment, même chez les plus discrets.
Une Synthèse conclue les rdv avec la perspective ou proposition de nouveaux thèmes pour la session suivante.
Je travaille également à la réalisation d’un patchwork d’idées philosophiques, de parole d’enfants, pour 2019 afin de sublimer nos échanges et laisser une trace de cette rencontre.
En quoi votre formation de psychologue influe sur les ateliers philosophiques ?
Ces deux disciplines en sciences humaines se chevauchent et participent, selon moi, à un but commun : aider les humains à supporter leur condition de mortel et à donner un sens à leur vie.
Elles sont très proches et complémentaires, je dirai même aujourd’hui indissociables.
La philosophie questionne, alimente et réanime le désir de vie, quand la psychologie clinique lui donne un sens, une direction, des objectifs individuels.
Sans doute parce que la plupart des personnes (petits comme grands) ont besoin de maîtriser leur vie, de positionner des choix, cela requiert de mieux se connaître.
Aider tout un chacun à réfléchir et se ré-interroger au monde, m’a toujours passionné.
Lorsque les enfants réfléchissent à la question posée, je suis probablement plus attentive aux réponses personnelles des participants et identifie spontanément leur capacité de résilience.
Mon approche en tant que psychologue prend peut être ici tout son sens, les idées et perceptions individuelles sont davantage soumises à questionnement pour aller plus loin et faire sortir les participants de leur défiances et idées préconçues, là où d’autres animateurs auront davantage le parti pris d’accueillir la parole brute.
Par ailleurs, je crois l’être humain profondément empathique et aimant en son essence. Il n’y a qu’à observer les très jeunes enfants.
En revanche, l’ignorance et la méconnaissance de soi exacerbent tout autant les préjugés et desservent l’humanité.
Je chérie l’idée selon laquelle plus la réflexion et l’autonomie psychique seront développées précocement, meilleurs en seront les desseins à grande échelle humaine.
Aussi, toutes les façons d’y parvenir me semblent opportunes, pourvu qu’elles servent cet objectif avec bienveillance.
La philosophie tout comme la psychologie en est l’un des supports privilégié. La Philosophie se pense, se parle et met également en relief nos valeurs propres et ressources. Il s’agit bien là d’un autre chemin mais qui ouvre tout autant l’esprit.
Aborder toutes ces questions existentielles par le spectre de la philosophie met peut être aussi plus de distance entre soi et soi pour les participants, tout en faisant malgré tout bouger quelques lignes et repenser sa condition personnelle avec plus d’ouverture aux autres et au monde. L’implication personnelle est plus tamisée dans ce cadre d’atelier.
L’intervenant comme les participants y mettent toujours d’eux même sans nécessairement en avoir conscience. En préparant les sujets philosophiques et leurs contenu, il est donc incontestable qu’être psychologue en teinte évidement la teneur.
La philosophie : un outil de réflexion abstrait (portée long terme) ou concret (portée court terme) pour les enfants ?
J’ai encore assez peu de recul pour évaluer ses effets sur plusieurs années. En relation immédiate, « la lumière et l’enthousiasme » sont toujours au rendez-vous. Les yeux brillent, questionnent, et renvoient toujours une réflexion sur le moment… Les adolescents sont plus pudiques, et les échanges s’alternent entre silences profonds et grandes logorrhées passionnelles...
J’ai plutôt l’intuition que ce cadre d’atelier diffère d’une simple activité intellectuelle ou manuelle. Les idées foisonnent, se transmettent, s’opposent, sont mises en perspectives et évoluent nécessairement au fil du temps.
Nous savons en psychologie du développement, à ce sujet, que la transmission et l’effet de mouvement psychique sont plus forts et donc plus impactant entre pairs, car ils s’identifient (en miroir aux enfants du même âge) avec plus de naturel et d’aisance.
Pour exemple, il est arrivé régulièrement qu’une idée contredite et fort bien argumentée par un participant ait permis de faire évoluer le regard d’autres, qui en ont convenu sur le champ. Tel un muscle, la parole en groupe, l’entrainement de la pensée, ouvrent incontestablement l’esprit, et lui donne plus de vigueur, de consistance…
Certains enfants affectionnent certains thèmes plus que d’autres : l’amour et l’amitié, contrairement aux idées reçues, ont fait l’unanimité par exemple ! Ces thématiques ayant davantage suscité l’intérêt résisteront probablement mieux au temps, restant gravées en mémoire pour apporter l’appui nécessaire face aux situations de vie à venir.
Les perceptions parfois soumises au changement de vision ou tout simplement les citations de philosophes ayant une portée puissante, sont autant de graines semées et qui seront amenées à grandir en fonction des événements, situations, et moments de vie.
Finalement, seuls les participants pourront se faire cette réflexion et se saisir ou non du fruit de ces échanges, si cela est opportun pour eux et leur fait sens.
Ce qu’en disent les enfants et les adolescents ?
Pour répondre à cette question, j’ai pris le parti de recueillir directement les impressions des participants et parce qu’ils en parlent si bien, je vous en livre l’expression sans concession :
« Les ateliers philo c’est très bien parce que tu nous racontes des histoires, on apprend sur la vie des philosophes et sur la nôtre. Je ne veux pas te vexer, mais parfois les questions étaient difficiles et d’autres fois c’était plus simple !
Il y a des jeux très marrants comme quand on a retiré les pétales de la Rose du Petit Prince (atelier sur l’amour).
J’ai préféré l’atelier sur l’amitié et l’amour parce qu’on a parlé de notre vie. Le thème des émotions était très bien aussi parce qu’on parlait de nos pensées et de nos émotions, de ce qu’on pensait. Et celui du bonheur était bien parce que tu parlais aussi de ce que toi tu aimes ».
Tom, 8 ans et demi.
"Je pense que l'atelier philo m'a donné l'occasion d'échanger sur des questions sur lesquelles j'avais soit un avis tranché soit sur lesquelles je n'avais pas réfléchi.
Cela reste très cliché mais je pense que l'atelier philo m'a beaucoup aidé à trouver des pistes de réflexions sur plusieurs questions, en les rattachant à des images et anecdotes.
L'atelier philo m'a permis de mieux m'entraîner à chercher des parallèles avec des sujets du quotidien et à rechercher ce que les auteurs pouvaient chercher à faire passer comme message. Il m'a aussi permis de "vocaliser" mon opinion et mes pensées sans être jugé et sans ricanements méchants de la part de mes camarades. Cela m'a donné un peu confiance et du coup je pense que je serai mieux à même d'aimer les cours plus tard.
En tout cas je pense que, au-delà de la possibilité que cela m’a donné de confronter mes idées de façon libre avec d'autres, cela peut aussi me donner un avantage significatif dans mes prochaines années non seulement sur la philo mais aussi pour m'aider à me souvenir qu'il n'y a pas seulement une bonne pensée ou opinion.
Et pour cela j'en suis vraiment reconnaissant à notre guide qui passe beaucoup de temps à réfléchir à nos questions et qui répond honnêtement et gentiment. Finalement l'atelier philo m'a permis de connaître et de comprendre les perspectives très différentes de mes camarades."
Aaron, 14 ans.
Céline Bidon-Lemesle, Psychologue Clinicienne, Thérapeute, Formatrice, Animatrice d’Ateliers Philo.