ACTE 3 - HAPPY or BAD confinement ?

La France coupée en deux, la France des deux bords, l’expérience d’une France en deux camps... Tous pourtant, embarqués dans le grand œil du cyclone, à l’orée d’une tempête avant tout humaine, sociale, économique, mondiale qui menace notre horizon et qui, dans le même temps, redonne ses droits à la nature. 

Tel un message climatique, les eaux sont redevenues limpides à Venise, des dauphins ont été aperçus en Sardaigne, des sangliers à Barcelone, un loup à Courchevel, une cane et ses canetons sur le périphérique, le ciel n’a jamais été aussi bleu à Pékin, Paris... et les oiseaux chantent ! Enfin, ils chantaient déjà sauf que nous ne pouvions les entendre…

« Les coups de gueule » pleuvent sur la toile, pourquoi devrai-je m’infliger ce florilège de nouvelles plus anxiogènes les unes que les autres ? Besoin de tout couper : BFM, la radio, les réseaux !

Happy expérience


Happy experience


Clémentine du Pontavice

Heureux qui comme toi va faire ce beau voyage... Le confinement n’apporte pas que son lot de privations et d’anxiété. Pour certains, il s’appelle :

  • Rapprochement insolite, telle une plongée en amour pour ce couple venant de se rencontrer sur appli il y a 15 jours à peine : après avoir maintes et maintes fois navigué en eaux troubles, nous nous sommes invités à partager ce moment délicieux, seuls au monde sur cette ile déserte, nous sommes libres de nous aimer éperdument.  
     
  • Solitude exquise, inespérée pour celui ou celle que l’on appelle « Aspi », c’est comme si je venais d’être confiné(e) dans une bulle, la vie mise entre parenthèse… pour un temps seulement, malheureusement. 
  • Effacement du symptôme : papa, maman, cette fois je vous garde rien que pour moi, finie l’encoprésie, les pipis au lit et les colères assourdissantes, bien collé à toi je reprends mes droits, je renoue, je joue, je t’invite chez moi, déguises toi ! Elle est belle ma vie, tu ne trouves pas ?
     
  • Tendre sieste dominicale au soleil, de 12 à 14h sur mon balconnet parisien, réchauffée par les rayons du printemps, j’arrête le temps, je prends le temps, il était temps ! Je goûte et m’enivre de ce luxe ultime.
     
  • Plongée adolescente, je rattrape mon retard, cette enfance et adolescence que je n’ai pas eu, il n’est jamais trop tard pour y revenir, adulte trop tôt, je goûte à ce plaisir régressif : affalé dans mon fauteuil de grand, je joue et joue encore aux jeux vidéo jusqu’au bout de la nuit, désorienté, je m’empiffre de burger et m’abrutit de séries TV. Aurai-je assez de temps, pour la vivre cette adolescence qui m’a tant manquée ?
     
  • Douceur de vivre, j’ai culpabilisé presque de penser cela, en te voyant dans les bras tendres et complices de ton papa. Tu es si heureux, nous sommes si épanouis dans cette nouvelle vie que nous débutons à trois, protégés de tout ce bruit, nous avons trouvé refuge au cœur de notre amour.
     
  • Lien transgénérationel, je suis avec papy en visuo tous les après-midi, il me pose des questions sur « c’est pas sorcier », me lance des challenges, des énigmes, et lit des histoires à ma petite sœur. Il se creuse la tête mon papy, pour continuer à faire tourner tout ce qui ne tourne plus rond.
     
  • Confiance, je fais confiance à mon système immunitaire. Je me demande si cela est de l’arrogance de ma part, de penser que mon corps pourra s’en sortir seul, alors que j’entends tous les jours des personnes qui vont en réa. 

Pour d’autres, ce sera plutôt bad trip…

Un patient me disait : dans toutes les entreprises il y a toujours des gens qui restent tard le soir au boulot, c’est ceux-là qui ont des problèmes à la maison, aujourd’hui dans mon couloir de travail, on n’est plus que 3-4 contre 70 d’habitude. Cela donne la température des foyers. Cela s’appelle :

  • Bad tripEnsemble, je vis l’enfer, le confinement c’est tellement difficile avec lui. Quand on se dispute, on ne peut plus partir en claquant la porte, aussi étrange que cela puisse paraitre : comme il me manque ce bruit assourdissant, l’écho tambourinant de ses pas dans la cage d’escalier qui s’éloigne peu à peu. Avant, la vie avec lui c’était compliqué, mais depuis le confinement, c’est devenu un tyran. Mes idées divaguent, je me surprends à penser au pourcentage de féminicides qui risque d’exploser en cette période de confinement. Heureusement que nous sommes partis à la campagne. Bécher le jardin, se défouler sur les mauvaises herbes, brutaliser la terre, couper, déraciner… je suis sauvée.
     
  • Froideur, cette nuit j’ai rêvé que tu m’embrassais. Ce goût que je n’ai plus depuis fort longtemps, et dans mon sommeil je l’ai retrouvé tendre et apaisé, je t’ai retrouvé. Je me réveille avec cette douceur encore sur mes lèvres puis d’un seul coup : l’effroi qui me cogne de nouveau. Je tousse sec, sans toi dans mon grand lit froid. Je dois me lever et essayer de travailler. 
     
  • Galère familiale, je craque. La journée a été horrible, mon fils de 11 ans a vomi, mon mari m'a demandé de l'isoler dans sa chambre, mon fils de 3 ans a mis un coup de tête à son frère de 5. Je l'ai couché, il a mouillé ses draps, machine en rade. 
     
  • FrustrationFrustration, je dois rester confinée dans ma chambre, comment te faire accepter que je ne puisse te serrer dans mes bras depuis tant de jours? Tu n’as que 5 ans, mais le Covid t’a rendue déjà si mâture. Alors on s’envoie des bisous, les Cœurs s’élèvent dans le ciel, nous les attrapons en plein vol, tu les emprisonne sur ta poitrine, je les niche dans mon cou, nous les consommons ensemble jusqu’à l’ivresse...  Dis maman, c’est quand la fin des vacances à la maison?
     
  • Vue imprenable sur la rupture, je ressasse le pourquoi de notre séparation, je viens à peine de réaliser, et me surprends à t’en vouloir. L’asymétrie s’installe, nous ne parlons plus que du confinement, et nous ? Je me sens esseulée, dans ce moment de vie si particulier. Nous n’étions probablement pas faits pour vivre et affronter ensemble.
     
  • Survie, pas le choix, ce masque ffp2 me tient en vie chez moi, dans mon corps âgé et diabétique. Ce qui me fend le cœur est de devoir me protéger de toi, toi mon amie appelée, réquisitionnée pour en sauver d’autres, des vies, mais à quel prix ? 

Que retenir de tout ceci…

Les émotions se mélangent, les histoires se suivent mais ne se ressemblent pas. Certains contemplent, se posent, apprécient, ressentent un profond contentement, tandis que d’autres luttent, souffrent, pleurent… Cela me rappelle la poésie de Khalil Gibran (le Prophète), celle qui décrypte si bien les femmes et les hommes, celle qui s’essaye à les réunir, celle qui parle juste, qui parle vrai :  

Votre joie est votre tristesse sans masque.
Et le même puits d'où fuse votre rire fut souvent rempli de vos larmes.

Comment en serait-il autrement ?
Plus profondément le chagrin creusera votre être, plus vous pourrez contenir de joie.
La coupe qui contient votre vin n'est-elle pas la même coupe 
qui fut cuite dans le four du potier ?
Et le luth qui caresse votre âme, n'est-il le même bois qui fut évidé au couteau ?

Lorsque vous êtes joyeux, regardez profondément en votre cœur, et vous trouverez que ce qui vous apporte de la joie n'est autre que ce qui vous a donné de la tristesse. 

Lorsque vous êtes tristes, regardez à nouveau en votre cœur, et vous verrez qu'en vérité vous pleurez sur ce qui fut votre délice. 

Il en est parmi vous qui disent: "La joie est plus grande que la tristesse", et d'autres disent: "Non, la tristesse est la plus grande."
Mais moi je vous dis qu'elles sont inséparables.
Ensemble elles viennent, et quand l'une vient s’asseoir seule avec vous à votre table, rappelez-vous que l'autre dort sur votre lit.
 

En vérité, vous êtes suspendus comme une balance entre votre tristesse et votre joie.
Ce n’est que lorsque vos plateaux sont vides et que vous êtes immobiles et en équilibre.
Lorsque le gardien du trésor vous soulèvera pour peser son or et son argent, il faudra que votre joie ou votre tristesse s’élève ou s’abaisse.

Poëme

ACTE 4 : Parler vrai