L’encopresie est un tableau clinique assez récent à l’échelle des troubles psychiques chez les enfants. Il existe peu de littérature et de travaux de recherche sur le sujet.
Je tire pour ma part mon expérience du travail clinique que j’ai développé au fil des années, grâce à mes petits patients et leurs parents.
Il me paraît aujourd’hui trop simple de parler de l’encopresie comme d’un trouble individuel dont seul l’enfant ou l’ado serait porteur. Il s’agit plutôt d’une problématique familiale plus complexe et profonde. Aussi, ce symptôme envahissant ne saurait se résoudre sans l’investissement et l’engagement thérapeutique des parents auprès de leur enfant.
Je souhaite dès lors vous exposer dans cet article l’évolution apportée à ma pratique professionnelle auprès des «familles encopresiques », depuis que je me suis formée à l’EMDR (Praticienne EMDR - enfant/ ado/adulte).
L’encoprésie : un trouble complexe aux multiples facettes
L’encoprésie et l’anorexie mentale : sœurs jumelles ?
L’Encoprésie m’est toujours apparue tel le négatif photo de l’anorexie mentale, en ce sens, qu’elles comportent à elles deux de nombreuses similitudes :
- Elles touchent le registre alimentaire, ou en d’autres termes la façon dont les personnes s’alimentent (sélection, rétention…).
- Ces problématiques sont de nature très envahissantes dans la vie quotidienne, déstabilisent la dynamique du lien familial et affectent l’ensemble de la famille.
- Elles traduisent toutes deux un manque de contenance et la difficulté voire la peur pour l’enfant ou l’ado de se voir et de devoir grandir.
- Ces deux tableaux cliniques traduisent également des angoisses sensorielles et archaïques provenant du cerveau reptilien, et laissant ainsi peu de place aux interactions avec le cerveau limbique (émotionnel) et cognitif (intellectuel).
C’est en partie la raison pour laquelle il demeure souvent difficile de venir à bout de ces problématiques par des entretiens cliniques uniquement.
Dès lors, le soin psychique apporté aux enfants ou ados encoprésiques ne peut se faire sans le soutien et l’accompagnement des parents et doit s’associer à une approche pluridimensionnelle : guidance de type Barkley, TCC, psychologie clinique, psychopédagogie de la vie quotidienne et EMDR.
L’encoprésie : primaire et secondaire
Les parents viennent en consultation en moyenne pour deux types de troubles encoprésiques : avec une émergence primaire (c’est à dire avant l’apprentissage de la propreté) ou secondaire (c’est à dire après avoir acquis la propreté).
Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’encoprésie primaire ou secondaire, ce trouble s’organise généralement autour de plusieurs facteurs : somatique (constipation), personnalité de l’enfant (anxieuse), et dynamique du lien (troubles de l’attachement/insécurité/ surprotection).
Par ailleurs, la source du trouble est très importante à identifier durant le premier entretien clinique puisqu’il va déterminer les trajectoires thérapeutiques par la suite.
L’encoprésie primaire
Un enfant, en dehors de troubles neurodéveloppementaux, qui n’a jamais acquis la propreté, nécessite un Accompagnement pluriel organisé autour de la « Question du Grandir ». Il s’agit d’enfants ou d’ados qui cherchent à rester le plus longtemps possible dans un corps de « bébé », et qui voient en cette stratégie de multiples bénéfices secondaires (sans que ce ne soit volontaire ou conscient de leur part).
Les questions de fond trouvent souvent leurs racines dans des difficultés de nature obstétricale dès la naissance, le transgénérationnel et / ou la dynamique relationnelle familiale.
Le travail thérapeutique se fait généralement en lien avec l’attachement affectif. La guidance parentale et le suivi relatif aux interactions familiales seront centrales dans ce cas de figure.
L’encoprésie Secondaire
L’encoprésie secondaire témoigne quant à elle d’un possible trauma ou vécu traumatique qui a pu passer inaperçu et qui est venu interrompre le développement de l’enfant. L’encoprésie secondaire se traduit alors par un mode de fonctionnement « défensif » chez l’enfant. Cette défense par la rétention des selles est protectrice pour l’enfant. Ce symptôme contient le trauma et lui évite d’exploser. Il est donc essentiel de faire attention à la façon dont on appréhende ce symptôme défensif (qui protège dans le même temps l’enfant) et les techniques proposées pour l’apaiser.
Il peut s’agir de plusieurs situations qui ont perturbé le jeune : problèmes physiologiques/ somatiques, environnementaux, problématiques transgénérationnelles qui resurgissent au sein de la famille… , autant d’événements de vie signant un défaut de contenance et de cadre interne pour l’enfant qui cherche alors à contrôler ce qu’il peut encore contrôler : à savoir son corps. Ce processus défensif n’est bien entendu ni volontaire ni conscient de sa part.
Concernant ces deux expressions (primaires ou secondaires), l’analyse de la source est primordiale pour le clinicien et les parents mais se verra souvent inopérante pour la résolution du symptôme qui a une vie propre et qui tend à protéger l’enfant d’angoisse liée à la nature de l’attachement affectif chez les encoprésiques primaires et du tsunami traumatique pour les encoprésiques secondaires.
Pourquoi la prise en charge de l’encoprésie est-elle si longue et laborieuse ?
Dans le contexte de l’encoprésie , il apparaît plusieurs défis supplémentaires :
L’enfant est parfois très jeune au moment où les parents viennent me consulter et il ne sait pas exactement comment exprimer les difficultés qui l’animent.
De même, lorsque le trouble est préalable à la formation du langage (encoprésie primaire), une approche clinique classique par la parole, sollicitant le cerveau cognitif, sera donc inefficace.
Aussi, les techniques habituellement proposées de Thérapie cognitive comportementale (TCC) et/ou Barkley (récompense opérante), très utiles dans un premier temps pour guider les parents vers de meilleures pratiques quotidiennes auprès de leur enfant, finissent parfois par être insuffisantes ou s’essouffler dans le temps.
L’encoprésie, qu’elle soit de nature primaire ou secondaire, puise sa source de façon archaïque et touche systématiquement le registre somatique et sensoriel de l’enfant. C’est la raison pour laquelle les praticiens recommandent souvent d’engager une démarche en kinésithérapie, en association avec la psychothérapie.
Cette technique de micro-kiné permet de rééduquer les sphincters qui ont trop longtemps été mis en jachère par l’enfant. L’enfant se retient parfois depuis des années. Ses réflexes de poussée se sont bloqués voire inversés ou anesthésiés avec le temps.
Cette stimulation sphinctérienne (correspondant à la rééducation du périnée chez les femmes qui viennent d’accoucher) comporte toutefois des limites en ce sens qu’elle s’avère invasive pour l’enfant. De plus, l’enfant doit être coopératif, dans la mesure où sa volonté doit être engagée de façon active pour y parvenir.
Or, comme nous l’avons vu précédemment, l’encoprésie s’inscrit comme un mécanisme défensif qui vise à protéger l’enfant d’angoisses multiformes, dont il n’a, le plus souvent, pas conscience. Ceci explique les échecs répétés de cette discipline, que me rapportent les patients.
Il me semble davantage d’usage de travailler avec l’enfant à sa réassurance ainsi qu’à la mise en place d’une contenance (solidité intérieure). Et pour ce faire, ses peurs archaïques doivent être traitées et son regard intérieur sur lui-même doit évoluer.
Mais quelle thérapie peut-on proposer aux familles et enfants encoprésiques lorsque leurs troubles sont apparus préalablement à l’acquisition du langage, ou bien lorsque le langage n’a pas permis sa résolution par le passé ?
L’approche emdr au service de l’encoprésie
L’EMDR est une approche thérapeutique connue habituellement pour répondre aux traumas clairement identifiés et présents chez des personnes en âge de les exprimer.
Telle la fumée devient arc en ciel ….
L’EMDR a pour fonction principale de stimuler intensément la digestion des informations traumatiques (négatives) de façon ciblée et qui se sont cristallisées au niveau limbique (émotions) et reptilien (sensations physiques) pour ensuite les transformer en informations positives.
La technique EMDR a en effet pour intérêt de faire se rencontrer les trois dimensions qui sont rattachées à chaque souvenir : son contenu intellectuel (j’ai mangé une glace cet été en vacances), émotionnel (je suis content.e) et corporel/ sensoriel (je ressens le goût, le froid, le plaisir gustatif).
Lorsque ces trois dimensions interagissent de nouveau ensemble, elles peuvent être revisitées et réévaluées avec plus de distance et de recul.
À la suite de cette « digestion émotionnelle et sensorielle du trauma », le patient place maintenant ces souvenirs négatifs au passé et les archive au même titre que tous les autres. Il n’est plus impacté par eux dans sa vie quotidienne et voit maintenant les choses avec un regard neuf et positif sur lui-même.
Comment l’EMDR aide à traiter l’encoprésie ?
Adaptation de la thérapie EMDR pour soigner l’encoprésie primaire ou les troubles de l’attachement avec son enfant
Comme énoncé précédemment, l’encoprésie primaire correspond la plupart du temps à une problématique d’attachement affectif entre l’enfant et sa famille, qui diffère d’un trauma spécifique identifié.
La thérapie proposée doit dès lors tenir compte de la dynamique du lien et le
Thérapeute rester vigilant aux différents membres de la famille. Il s’agit davantage d’un travail de nature systémique plutôt qu’individuel vis à vis duquel la famille va devoir s’engager.
En effet, un enfant ne naît pas seul, de même qu’il ne s’élève pas non plus tout seul. Nous sommes les seuls mammifères à atteindre notre maturité totale 26 ans après notre naissance, le temps que nos lobes préfrontaux impliqués dans les fonctions exécutives complexes (jugement, raisonnement, prise de décision..) parviennent enfin à leur maturité.
Des soins corporels initiaux (patentage, soins hygiène, alimentaires..) se tissent cette relation de confiance entre le bébé et son parent dont l’enfant a besoin pour se construire et grandir sereinement.
Le lien d’attachement du parent apparaît plus ou moins sécure à l’enfant, en fonction de ses propres repères éducatifs et identitaires, de sa prévisibilité et de son désir d’autonomie pour son enfant.
Ainsi, il demeure nécessaire de trouver un équilibre. En fonction des événements de vie, de l’éducation reçue .. les parents sont parfois peu contenants ou ambigus avec leur enfant (pas de règle ou règles molles/ paradoxales) et d’autres au contraire apparaissent comme des parents surprotecteurs, laissant penser à l’enfant que le monde est dangereux et qu’il vaut mieux éviter de se confronter aux grands.
Quel que soit le contexte, l’enfant, inscrit dans cette dynamique de lien, éprouve alors des bénéfices psychologiques à rester petit.
Le thérapeute EMDR recherche alors les cibles (souvenirs du parent) à retraiter pour remettre de l’équilibre dans ce lien d’attachement, ce qu’un second entretien clinique poussé avec la famille permettra de mettre en lumière.
Les parents vont être amenés à travailler plus directement sur ce vécu traumatique qui impacte la relation à leur enfant : leurs peurs éducatives, leur manque de contenance, leur dégoût sensoriel (des selles), leurs antécédents transgénérationnels (constipation, Encopresie ancienne, violence domestique autour de la mise à la selle étant petit…) etc..
Dans tous les cas, ces difficultés peuvent être retraitées individuellement par chaque parent concerné, en EMDR, à l’aide de protocoles spécifiques tels que : cultiver l’espérance vis à vis de son enfant et la lettre à son enfant d’Helene Dellucci, le protocole classique EMDR : TAI /traitement adaptatif de l’information traumatique de Francine Shapiro, les empruntes précoces de Katie O’Shie…et/ou à l’aide de protocoles qui se travaillent en famille telle que l’histoire narrative de Marie France Gizard, le récit narratif d’Annie Delplancq...
Les blessures du passé ainsi cicatrisées chez chaque membre de la famille, l’enfant se sent alors dégagé du poids transgénérationnel qu’il portait en lui sans le savoir. N’étant plus impacté ni menacé par ces problématiques qui ne lui appartenaient pas, il peut naturellement par la suite retrouver sa légèreté et son envie de grandir.
Cet équilibre parental ainsi retrouvé, les enfants sont peu vus en consultation par la suite, car les parents ont largement participé à leur réparation en travaillant personnellement pour améliorer leur lien d’attachement affectif à leur enfant et bien souvent l’Encoprésie primaire du jeune se résout, naturellement, d’elle-même.
Adaptation de la thérapie EMDR pour soigner l’encoprésie secondaire et les traumas du passé.
Dans le contexte de l’encoprésie secondaire et comme son nom l’indique, l’enfant a déjà acquis la propreté, or, il présente à un moment donné de sa vie une régression dans ses comportements sphinctériens. « Cet avant et cet après » signent une rupture dans la continuité du développement de l’enfant, indice clinique qu’il sera nécessaire de débroussailler avec les parents durant les entretiens cliniques. L’investigation du praticien et des parents s’oriente alors sur le ou les déclencheurs de ce symptôme. Une fois la guidance parentale mise en place et les cibles repérées, le travail de désensibilisation en thérapie EMDR peut débuter.
Les situations traumatiques ou déclencheurs (cibles à retraiter) peuvent s’exprimer de façon plurielle :
- corporelle/sensorielle : suite à une constipation (douleur voire fissure anale) ou bien due à un geste médical ou à une violence (agression sexuelle)..
- environnementale : arrivée d’un enfant, divorce, deuil, séparation/ abandon parental, dépression parentale, violence domestique, accidents de vie, difficultés relationnelles et/ou scolaires ..
- transgénérationnelle : date anniversaire ou événement familial traumatique qui se reporte sur l’enfant, trauma qui s’exporte de génération en génération…
Dans tous les cas, et contrairement à l’encoprésie primaire, il apparaît un déclencheur clair et plus ou moins connu de l’enfant et / ou de la famille que les entretiens cliniques permettront de mettre en lumière.
Si le praticien EMDR traite le ou les déclencheurs du symptôme engendrant l’encoprésie, les troubles finissent alors par disparaître.
Pour ce faire il existe plusieurs protocoles en EMDR à réadapter en direction des enfants et des familles pour être efficaces.
Les déclencheurs sensoriels
Lorsque le déclencheur est de nature sensorielle (douleur ventre, anale ..), c’est comme si une intrusion s’était produite sur le corps de l’enfant. Le traitement EMDR s’applique donc de la même manière que pour une personne victime d’agression corporelle.
En d’autres termes, la thérapie s’oriente sur la désensibilisation de cet éprouvé sensoriel (protocole d’Helene Dellucci de remise à zéro de la sensation et/ou TAI classique de Francine Shapiro), en insistant justement sur les sens, la douleur, le contexte dans lequel l’enfant a vécu ce traumatisme physiologique.
Ce travail permet en effet de relier les trois cerveaux : cognitif, émotionnel et corporel, de sorte que le corps n’ait plus besoin de se sentir en alerte permanente des qu’un stimulus corporel (douleur anale) sera activé. L’enfant peut de nouveau se rendre à la selle, sans craindre de souffrir de nouveau.
Une fois désensibilisée, cette sensation traumatique initiale s’apaise et laisse place à un souvenir, certes encore négatif, mais qui peut maintenant s’archiver avec les autres.
Les déclencheurs environnementaux et transgénérationnels
De la même façon que décrit précédemment, les cibles (c.à.d. les déclencheurs du symptôme chez l’enfant) une fois identifiées, sont retraitées avec le protocole classique de Francine Shapiro.
À noter toutefois que le protocole EMDR présente quelques adaptations et simplifications pour les enfants de moins de 8 ans (axés davantage sur le cerveau émotionnel et corporel), de sorte que cet exercice soit plus ludique et qu’ils se sentent pleinement en maîtrise face à ce qui leur est proposé.
Le cas particulier de la dissociation chez l’enfant encoprésique
Il est possible de retrouver certains blocages et dans ce cas les enfants ont besoin de davantage de stabilisation émotionnelle (ancrage dans le corps, implémentation de ressources internes positives…) avant le retraitement en EMDR de ces informations traumatiques.
En effet, les traumatismes physiques (blessure et douleur corporelle) suscitent souvent l’émergence de mécanismes défensifs, en ce sens qu’ils permettent à l’enfant de supporter ces douleurs physiques, notamment en « se dissociant ».
Ce type de dissociation n’est pas de nature délirante ou psychotique !
Mais, « sortir de son corps » chez un enfant encoprésique est assez habituel, et c’est aussi le moyen le plus efficace pour lui, sur le moment tout du moins, pour ne plus souffrir tant physiquement que psychiquement.
Il conserve ainsi une certaine forme de contrôle sur son corps, ce qui lui permet de s’anesthésier physiologiquement.
Travailler en EMDR au retraitement de ces défenses peut être difficile et le processus thérapeutique peut se bloquer.
Car sans sensation éprouvée et ressentie par l’enfant, rien ne peut être véritablement retraité : le souvenir traumatique reste cristallisé dans le cerveau reptilien et ne bouge plus. La réponse de rétention des selles par exemple demeure automatique et systématique sans possibilité d’assouplissement.
La pratique clinique en EMDR nous apprend que lorsque les défenses s’érigent pour protéger leur hôte, il convient de les « chouchouter», car elles servent de palliatifs à la douleur, à la honte et l’humiliation, à la peur de grandir... pour l’enfant.
Ce dernier devra alors se sentir suffisamment en confiance et en maîtrise pour accepter progressivement de mettre de plus en plus de distance avec ses défenses jusqu’à les mettre au repos.
Pour ce faire, la table de Fraser (utilisation des Playmobil) ou la salle diplomatique de Nicolas Diespiendras (revisitée pour les enfants, cf. Article la salle des mots doux) seront autant d’outils cliniques adaptés pour laisser s’exprimer puis apaiser ces parties défensives chez l’enfant encoprésique, permettant de poursuivre le traitement EMDR plus classique, par la suite.
À nous thérapeutes, de rappeler à l’enfant que chaque partie défensive a le droit d’exister et, si elle occupait, jadis, une fonction de protection, aujourd’hui elle peut prendre sa retraite, car l’enfant n’est plus en danger !
Pour conclure cet article, j’aimerai encourager et rassurer tous les parents qui se reconnaîtront dans ces écrits.
Si vos difficultés personnelles ont pu parfois impacter involontairement votre enfant, sachez que c’est également vous qui êtes la *Solution* et qui participerez pleinement à leur *Guérison* !