D'où nait véritablement ce bébé ... tant attendu ?
L'existence d'un enfant se dessine bien en amont de sa conception, elle nait précocement du désir fantasmatique d'une femme et/ou d'un couple qui pensent à cet enfant « idéal » à venir, au même titre qu'une « famille idéale » à construire. Des souhaits familiaux émanent l'histoire propre de chaque futur parent et visent la plupart du temps à « réparer » ce qui a été vécu comme un manque ou une blessure pour soi même.
De là, nait progressivement la représentation idéale de chacun, socle de la parentalisation (le devenir parent), laquelle sera d'ailleurs nécessaire à l'investissement de l'enfant à venir par ses parents.
Au moment où se développe le fœtus dans le ventre maternel, c'est l'enfant imaginaire (imaginé dans sa tête) qui se superpose à l'enfant idéal (fantasmé). Les questions se bousculent, comment sera-t-il, à qui va-t-il ressembler....
Les paroles de l'échographiste influencent, renforcent, inquiètent... les idées de la future mère qui va progressivement tenter de se représenter son enfant réel. Lorsque le bébé est né, la mère prend alors toute la mesure de la condition de ce petit être vulnérable, parfois fragile mais que finalement elle connait sans connaitre véritablement.
C'est la confrontation entre l'enfant idéal, puis imaginé et maintenant réel, avec ce qu'il peut renvoyer de gratifiant mais aussi de décevant, qui permet de se construire dans le sentiment d'être parent.
Les couples qui sont en difficulté pour avoir des enfants naturellement peuvent alors avoir tendance à « cristalliser » cet enfant idéal qui ne vient pas, évinçant d'un coup d'un seul l'ambivalence (naturelle et nécessaire) contenue en ce futur bébé.
Les parents infertiles ne peuvent pas imaginer contenir en eux de pensées négatives à l'égard de ce bébé qui tarde, cela ne ferait que renforcer leur peur, leur pensée magique, celle de l'empêcher de venir... or, c'est la reconnaissance de cette ambivalence habituelle (aimer follement son bébé à venir mais accepter aussi qu'il ne réponde pas en tous points à son désir) qui va permettre au couple parental d'apaiser son sentiment de culpabilité, d'incapacité voire par la suite d'accepter cette absence d'enfant pour vivre quand même heureux à deux, ce qui, à ce jour, est encore inacceptable.
Ce que ressentent les femmes vis-à-vis de leur infertilité : question sociale, question familiale...
Il s'agit d'une blessure narcissique profonde, car la grossesse et l'enfantement correspondent à la période durant laquelle la femme se sent « la plus puissante », elle porte la vie en elle. L'infertilité féminine réactive le sentiment d'incomplétude et la prive de la plénitude de l'enfantement, de la magie que représente la transmission de la vie.
Cette incapacité ainsi nommée déstabilise sa place au sein de la famille et attire des regards culpabilisants en elle : je ne pourrai pas inscrire la filiation familiale.
Le roman familial est interrompu brutalement, sans préavis. L'infertilité biologique renvoie nécessairement au sentiment d'incapacité, d'infertilité psychique au sens où devenir parent se gagne avec le temps et certains couples s'en verraient privés, telle une malédiction. Les angoisses psychiques inconscientes viennent siéger au cœur de ce processus et la pensée magique avec tout ce qu'elle convoque de fantasme revient massivement alors sur le devant de la scène psychique.
La souffrance associée au parcours de PMA exacerbe cette souffrance d'infertilité physique et psychique. Cette démarche implique inévitablement le regard du médical qui est alors vécu avec ambivalence : j'ai besoin des professionnels pour procréer mais en même temps je ne peux les supporter car il me rappelle mon impuissance et c'est ce corps médical qui va contrôler ce qui m'échappe.
Cette situation si particulière, qui interfère avec l'intimité du lien amoureux, réactive la dépendance des personnes mais aussi les blessures passées de l'enfance, ceci de façon plus ou moins douloureuse en fonction des histoires, de la place que chacun a occupé dans sa famille, avec ses parents et de la possibilité qu'il a eu aussi ou non de se défaire de cette dépendance pour s'autonomiser et s'individuer.
Le parcours de la PMA replonge inévitablement la femme, l'homme, dans cette ambiance parfois couteuse sur le plan psychique. Il renvoie aux échecs passés, à la culpabilité de ne pas avoir su parfois satisfaire le regard parental posé sur elle/lui, étant enfant ; regard qui se rejoue symboliquement dans ce contexte si particulier. Ce corps médical peut dès lors être associé tant à une position d'alliance thérapeutique qu'à un sentiment d'entrave.
Procréer renvoie également à une notion bien souvent faite de tabous entre enfant et parent. Lorsque les enfants devenus adultes sont en âge de concevoir à leur tour et que la nature en a décidé autrement, le regard médical posé (substitut symbolique parental, surmoïque en quelques sortes) sur le couple infertile peut aussi être vécu (fantasmatiquement) comme persécuteur « tout puissant », susceptible d'autoriser l'ouverture à la parentalité ou de l'interdire.
Là où les enfants devenus grands devraient assumer cette puissance qui leur a été conférée, c'est à un aveu d'impuissance... une fois encore, auquel il doive faire face. Se rejouent ici les enjeux œdipiens de l'enfance : « je ne serai jamais aussi fort que papa, je en pourrai jamais faire des bébés comme maman ».
Par ailleurs, devenir à son tour « mère et père » n'est pas suffisant pour se sentir à la hauteur de ceux qui nous ont enfantés. Ce passage initiatique de l'accouchement pour la femme aide à lui garantir son nouveau statut mais c'est la présentation de l'enfant à sa propre mère qui détermine pour toujours, rassure, inquiète, gratifie... quant à sa capacité à pouvoir endosser ce statut à son tour.
Si ce parcours n'a pu être validé dans sa totalité, ou que ce bébé ne pourra jamais être présenté, cette nouvelle maman éprouvera nécessairement un sentiment de malaise, celui ne pas avoir accédé totalement à ce statut maternel.
Dans le contexte de la PMA, c'est bien souvent de cette question symbolique qu'il retourne. Voici la raison pour laquelle, il est essentiel que les équipes médicales assurent, en plus de leur technicité, cette fonction maternelle « contenante et rassurante » auprès de ces « devenant parents ».
Le parcours stressant et traumatique de la PMA
Il existe probablement beaucoup de fantasmes chez ces couples avant d'entamer ce parcours. Ils pensent bien souvent que "la médecine saura bien les réparer" quitte à engager des frais personnels et à endurer un coût physique et psychique souvent indélébile par la suite. Dépasser le nombre préconisé par la LOI (6 IUU et 4 FIV sont remboursées par la sécurité sociale), les chances de réussite baissent considérablement mais certains couples ne peuvent s'y résigner et poursuivront parfois jusqu'aux limites financières et physiologiques (ménopause), dernier rempart à la procréation avant de recourir ou non à d'autres solutions : la poursuite de cet espoir de parentalité à travers notamment les dons ou l'adoption (hors filiation génétique). Tous les couples infertiles qui souhaitent avoir un enfant passent par des étapes psychologiques repérables, en réponse à un traumatisme. Car cette annonce fait « l'effet d'une bombe ». Tout d'un coup le monde s'écroule: le choc et la sidération s'invitent sur le devant de la scène. Il faudra parfois plusieurs jours voire plusieurs mois pour que cette situation puisse être parlée autour de soi. La colère l'emporte maintenant et c'est le sentiment d'injustice qui prévaut: "mais qu'ai je fais pour mériter cela, pourquoi une telle peine, telle sentence?". Les personnes, après avoir ressentie une intense culpabilité, peuvent dans un deuxième temps la projeter en quelqu'un d'autre, mais face à cette épreuve de la réalité, il faut se faire une raison.... ou trouver une issue ! Cette issue, la plupart des couples stériles l'entrevoient à travers la PMA, d'autant que la médecine apparaît toute puissante aux yeux du plus grand nombre. Ces couples cherchent avant tout à restaurer une image normalisée (sociale et familiale) en assurant leur transmission par la descendance. La question existentielle qui occupe l'homme est bien souvent la suivante: "Si je ne peux rien transmettre de moi, si mon nom se perd dans la lignée, que restera t il de moi après ma mort? "
L'infertilité convoque nécessairement ces enjeux inconscients en chacun de nous, c'est ce qui fonde notre humanité, le sens donné à la vie (pour la plupart des gens) et qui conduit alors ces couples infertiles à s'adonner à cœur perdu dans cette longue et fastidieuse épreuve de l'assistance médicale. Le stress fait dès lors partie intégrante de ce parcours « du combattant », il est notamment présent au moment du diagnostic et des choix qui en résultent, il est lié aux techniques répétitives souvent nombreuses. Les échecs accentuent le traumatisme des couples. Lorsque cette filiation peut toutefois aboutir hors du schéma classique (adoption, don de sperme, d'ovocyte..) cela n'est pas non plus sans poser de problème liés à la notion de parentalité hors filiation génétique. Vouloir un bébé à tout prix fragilise nécessairement le couple et ses assises narcissiques (la confiance en soi). En conséquence de cause nous retrouvons alors 50% des femmes qui ressortent déprimées par cette expérience de PMA, et 30% des hommes qui se sentent menacés dans leur virilité. Finalement 72% des couples traversent une période dépressive avec la survenue de difficultés sexuelles déstabilisant l'équilibre du couple. Le sentiment de culpabilité peut également être accentué face à des paroles sociales qui deviennent délétères pour le couple telles que : « n'y pensez plus, c'est dans votre tête si ca ne marche pas, ... ou encore ce n'est pas si grave, il y a l'adoption... ».
Issues psychiques...
L'expérience clinique montre que plus les demandes de PMA s'inscrivent à la limite des normes biologiques (rapprochement de la ménopause..), sociales ou juridiques, plus elles révèlent des personnes psychologiquement fragilisées. En tout état de cause la démarche de soutien thérapeutique ne peut être entendue et acceptée par ces femmes et ces hommes que si elle s'adresse à la « partie en souffrance » des personnes. C'est seulement dans ce contexte que le sentiment de culpabilité peut être éclairé et apaisé. Finalement, le travail du deuil nécessite de renoncer à une perte mais aussi de pouvoir réinvestir la vie, cette part narcissique. L'ouverture à cette nouvelle vie qui rendait si puissant, laisse place au vide, à l'incomplétude pour toujours.
Il s'agit dès lors de trouver en soi les ressources, de croire en sa résilience (chère au bien pensant Boris Cyrulnic), pour s'investir dans de nouveaux projets, une création qui ne remplira certainement pas totalement cette fonction symbolique déchue mais qui pourra conduire à se sentir utiles, à laisser la trace de son passage sur cette terre, une trace vécue comme représentative de son humanité et à la hauteur de ce que l'on a à transmettre. Le bonheur n'est question que de regard sur soi, que l'on enfante ou non, donnez vous le droit aussi d'être heureu(se)x !
PMA
À définir en groupe
- Parcours du combattant et difficultés personnelles
- Les enjeux psychiques : entre sentiment d'injustice et de culpabilité
- Avoir le droit de devenir parent
- Une épreuve pour le couple : l'intimité blessée
- La tornade des sentiments: une alternance entre agressivité et alliance au sein du couple
- Décoder les signes et points de souffrance chez son partenaire
- Dois-je faire le deuil de mon projet d'enfant ou garder espoir?
- S'inscrire dans de nouvelles perspectives, des projets complémentaires...
Je dispense également des analyses de la pratiques professionnelle et des formations sur les questions périnatales (stage B), pour en savoir plus cliquez ici
Céline Bidon-Lemesle, Psychologue Clinicienne, Thérapeute.