Douleur, déprime, solitude : pourquoi le post-partum peut-il être si violent?
De nombreuses mères témoignent ces jours-ci sur les réseaux sociaux des grandes difficultés qu’elles rencontrent ou ont rencontré après leur accouchement. Douleurs, déprime, solitude… pourquoi le post-partum peut-il être si violent ? Comment en faire un moment plus facile à vivre ?
Saignements, épuisement, douleurs au mamelon, crevasses aux tétons, hémorroïdes, incontinences, tranchées, lochies, épisiotomie, déchirure douloureuse, baby blues, bouleversements psychiques, physiques et … une extrême solitude. Depuis le 15 février, se sont répandus sur les réseaux sociaux les témoignages de femmes décrivant avec des mots crus et réalistes leur corps et leur psychisme dans les jours qui ont suivi leur accouchement. La sociologue et féministe Illana Weizman, ses amies Ayla Saura, Morgane Koresh et Masha Sacré sont à l’origine de cet appel à témoin, lancé sous le hashtag #MonPostPartum. Au tout départ est une pub censurée par la Motion Picture Academy lors de la cérémonie des Oscars dimanche 9 février. Cette réclame montre une jeune mère réveillée en pleine nuit par les pleurs de son bébé. Elle se lève, habillée d’un slip filet et se dirige vers les toilettes. Pas de sang, pas de larme, mais un ventre encore bien rond, un corps douloureux qui peine à s’asseoir sur les toilettes, semble souffrir d’hémorroïdes, la réalité sans fard du post-partum.
Après le mannequin Ashley Graham sur Instagram, Illana Weizman, en réaction à la déprogrammation du film publicitaire sur ABC News, a publié deux photos d’elle après son accouchement : un ventre gonflé par un utérus qui n’a pas retrouvé sa taille normale, un slip filet orné d’une protection pour les pertes de sang qui durent plusieurs jours encore après l’accouchement. « Si on parlait davantage de ces sujets, si on ne les invisibilisait pas de façon systématique, les mères se sentiraient moins isolées, moins démunies. Préoccupez-vous des mères. Mettez en lumière leur vécu », commente la jeune femme.
En 2018, un rapport sur « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical » était remis à Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes. Après les violences obstétricales que le rapport avait permis de mettre en lumière, un nouveau front s’ouvre désormais dans le domaine très sensible de la périnatalité.
L’accouchement au cœur du post-partum
Quand on passe en revue les témoignages sur Twitter, il est souvent question de violences obstétricales, d’une profonde solitude et de mère qui n’ont pas confiance en leur capacité à bien s’occuper de ce bébé totalement dépendant d’elles, mais aussi, de leur père. Si ce hashtag est salutaire car il libère la parole des femmes et lève le voile sur un post-partum loin des images sucrées que nous renvoie la société, Ingrid Bayot, sage-femme, formatrice en périnatalité et allaitement, auteur du livre « Le quatrième trimestre de la grossesse », veut nuancer le propos. « Quand le rose-bonbon a été obligatoire trop longtemps, le jour où la parole se libère, c’est un tableau noir de chez noir qui est décrit. Ce noir de noir ne veut pas dire que le post-partum c’est ça. (…) Quand je lis ces témoignages, je vois que beaucoup de ces situations auraient pu être évitées. Violences obstétricales, déclenchements sans raison, erreurs dans l’accompagnement à l’allaitement, manque de soutien et solitude effroyable… Si les femmes étaient mieux accompagnées, le post-partum ne serait pas aussi souvent les catastrophes que l’on décrit. Mais à force que ça arrive aussi souvent, on finit par penser que ce quatrième trimestre c’est l’horreur, des cris, du sangs et des larmes ». Ingrid Bayot dénonce ainsi « une fabrique de l’effondrement maternelle, une obstétrique machiste et autoritaire ».
Violences obstétricales, accouchements qui se passent mal ou accouchements déclenchés ont un impact sur l’état psychologique de la mère après un accouchement. « La santé psychique des mères après l’accouchement est étroitement liée à la manière dont s’est déroulé l’accouchement », pose Marie-Hélène Lahaye. Juriste, blogueuse, lanceuse d’alerte, féministe, elle s’est fait connaître pour sa lutte contre les violences obstétricales. La reconnaissance par la société des difficultés du post-partum et les moyens de les surmonter sont pour elle une continuité logique à ce combat.
Apprendre aux femmes à apprivoiser un corps qui retrouve son équilibre
Après l’accouchement, c’est un nouveau chapitre qui débute. Celui qui racontait l’histoire d’une femme chouchoutée durant neuf mois par ses proches, surveillée comme le lait sur le feu par le corps médical est désormais clôt. La suite ? Des mères au corps encore meurtri, psychologiquement fragilisée, rentrent chez elles quatre, trois, voire deux jours après la délivrance. Beaucoup n’ont pas été suffisamment bien préparées à ce que s’apprête à vivre leur corps pour retrouver un équilibre ni à l’isolement qui les attendait, de retour à la maison. Informer les femmes sur les événements physiologiques et psychiques qui se produisent dans les jours, les semaines et les mois qui suivent et les sortir de cette profonde solitude que beaucoup d’entre elles vivent de retour à la maison apparaissent comme les conditions majeures à leur mieux-être après l’accouchement.
Ingrid Bayot a élaboré son propre vocabulaire pour évoquer le post-partum. Elle décrit la post-gestation, qui concerne l’ensemble des besoins du bébé, des besoins énormes qui nécessitent un apprentissage des parents. Autre grand phénomène, la « dégestation » de la mère : ce néologisme désigne la déconstruction des structures mises en place par le corps pour la grossesse et le retour, très progressif, à un nouvel équilibre physiologique. « Il n’y a pas de mot pour le dire en français ou des mots très négatifs - corps abimé, corps à cacher - alors que c’est un corps en transition. Le fait de ne pas avoir de mot, ne permet pas de le penser en terme physiologique ». Selon cette professionnelle de la périnatalité, « en donnant des repères biologiques et physiologiques aux femmes, elles pourraient mieux se préparer et anticiper ce post-partum ».
Ainsi les cours de « préparation à l’accouchement » aujourd’hui délivrés ne semblent pas suffisamment informer sur le post-partum, comme par exemple la durée normale des lochies (saignements après l’accouchement) ou la survenue des tranchées, ces contractions de l’utérus qui retrouve sa taille normale, pouvant être très douloureuses lors de l’allaitement. « Pendant les cours de préparation à l’accouchement, il faut informer les femmes sur ce qui est normal, ou pas. Il faut les informer sur ce qu’est le baby blues notamment », abonde Céline Bidon-Lemesle.
Le risque bien réel d’une dépression post-partum
Dans les cours de préparation à l’accouchement, « il est toujours question de la post gestation, c’est à dire les besoins du bébé. On fait pression sur les mères pour qu’elles s’occupent de lui. Mais tant qu’on ne parle que du bébé, on oublie deux tiers des personnages dans l’équation. Le père. Et surtout la mère, qui est en pleine dégestation, et doit apprendre seule la post-gestation », regrette la sage-femme. « Pourtant, elle ne doit pas être seule pour vivre tout ça », poursuit-elle.
Au-delà d’un post-partum douloureux tant sur le plan physique que psychologique, ce qui se joue aussi à ce moment-là est la nécessité de prémunir la maman contre la dépression post-partum. « Cette fragilité émotionnelle qu’est le baby blues ne dure pas plus de dix jours en moyenne. C’est à ce moment là qu’on risque de s’enfoncer dans la dépression post-partum », pose la psychologue. Le baby-blues toucherait environ 60 % des mères. Dû à un bouleversement hormonal, associé à une profonde fatigue, le baby blues débute trois jours après l’accouchement et dure jusqu’au 10e jour en moyenne. Grande sensibilité, épuisement, inquiétude face à cette énorme responsabilité que représente un bébé… ces symptômes sont habituellement de courtes durées. La bienveillance des proches, des professionnels de santé, le maternage de la mère favorise notamment le retour de la maman à un meilleur équilibre psychique.
Si le malaise persiste, s’il s’aggrave, alors on parle plutôt de dépression post-partum. Phobies d’impulsion – crainte de faire du mal au bébé -, profonde angoisse, épuisement permanent, évitement du contact avec le bébé ou angoisse permanente pour le nouveau-né, isolement, idées suicidaires… La dépression post-partum est le risque majeur pour une femme après l’accouchement. Il concernerait 15 à 20 % des femmes selon un chiffre avancé par le collège national des gynécologues et obstétricien français.
« Le post-partum est clairement un problème de santé publique. Mais ce n’est jamais pris en compte du côté de la mère. Tout ce qui compte c’est le bébé : va-t-il bien, est-il en bonne santé ? Pourtant les retentissements d’une dépression post-partum sur la mère, le bébé, la famille sont majeurs », déplore Marie-Hélène Lahaye. « Il faut que les femmes sachent qu’à partir du 10e jour si elle continue à être déprimée, ce n’est pas normal. Il ne faut surtout pas hésiter à solliciter un entretien auprès du psychologue de la maternité où on a accouché. Il y en a souvent un et les femmes ne le savent pas. Sinon, les PMI peuvent également assurer ce suivi. Il existe également des psychologues spécialistes de la périnatalité en libéral », préconise Céline Bidon-Lemesle.
Depuis la promulgation en décembre 2019 de la loi de financement de la Sécurité sociale l’entretien prénatal précoce est devenu obligatoire. Celui-ci doit avoir lieu au 4e mois de grossesse. Son objectif ? Permettre au professionnel médical, ayant reçu une formation adéquate, de détecter les difficultés pre-partum, et anticiper celles du post-partum. Jusqu’ici facultatif et peu connu, cet entretien pourrait être salutaire. « La moitié des femmes susceptibles de faire une dépression post-partum pourrait être détectée à ce moment-là et accompagnée dans ce sens », commente la psychologue.
A quand l’allongement du congé paternité ?
Ne pas laisser les mères seules avec leur bébé, leurs inquiétudes et leurs questionnements s’impose comme l’un des meilleurs moyens de les soulager. « La solution est d’abord politique. Cela doit passer par un allongement du congé paternité. Une femme préfère quand même avoir un homme à la maison, même s’il ne fait rien. Parce que rien que sa présence lui permet juste de sortir de cette incroyable solitude dans laquelle est plongée ! », note Marie-Hélène Lahaye.
En France, la durée du congé paternité est de onze jours, seulement. En Espagne, il est passé l’année dernière de cinq à huit semaines. En Norvège, les parents peuvent se répartir 49 ou 59 semaines en touchant 100 % ou 80 % de leur salaire. En Finlande, les pères disposent de 54 jours de congés payés. Au Danemark, les parents peuvent se répartir 32 semaines payés 100 % de leur salaire. En Suède, les pères peuvent prendre 480 jours payés à 80 % du salaire. Créer un lien d’attachement avec son enfant, apprendre à prendre soin de lui, soutenir la mère sont autant de bénéfices apportés par des congés paternités plus longs.
Les familles peuvent aussi demander auprès de la CAF, et sous certaines conditions, d’une technicienne d'intervention sociale et familiale (TISF) ou une auxiliaire de vie sociale (AVS). « Ce dispositif est conçu comme un soutien temporaire aux familles allocataires », lit-on sur le site de la CAF. Peu connue du grand public et même des professionnels de santé, la TISF est pourtant un soutien solide pour la nouvelle famille, la mère épuisée et permet, par une présence bienveillante, de valoriser les compétences parentales des parents.
Sensibiliser la société au post-partum
« La mère est mise de côté, plus personne ne s’occupe d’elle et c’est elle qui doit s’occuper du bébé, 24h/24. Alors que dans les sociétés traditionnelles, il y a toujours une belle-mère, une sœur, une tante, une proche qui est là pour la seconder, après l’accouchement », déplore Marie-Hélène Lahaye. Céline Bidon-Lemesle note également qu’avec l’évolution des mœurs, les familles éclatées, le premier enfant qui arrive plus tardivement dans la vie d’une mère, « on assiste à des transmissions générationnelles moins actives et moins directes ». Toutefois, ces sociétés traditionnelles ne correspondent plus à nos modes de vie actuels. Alors comment pallier la solitude qui ceux-ci induisent ? « Les femmes doivent se tricoter une tribu post-natale pour ne pas être seule », assène Ingrid Bayot.
C’est aussi ce pour quoi milite Marie-Hélène Lahaye, milite pour une campagne de sensibilisation afin que change le regard de la société sur le post-partum et le congé maternité. « Il faut changer les messages sur le post-partum. Souvent, lors d’une visite, on vient avec un cadeau inutile pour le bébé, on fait la conversation avec la femme et on part, laissant les tasses de café sales sur la table. Il est impératif de passer d’une société hyper-matérialiste à des choses utiles en termes de services pour les femmes, comme un soin, du ménage, un repas… ».
Même constat pour Céline Bidon-Lemesle pour qui les proches de la mère sont parfois aux antipodes du maternage avec elle. « Souvent la famille est très démunie, les parents, les beaux-parents, le conjoint, la fratrie… Ils peuvent même être très culpabilisants envers la mère. Il suffirait de les sensibiliser à ce que représente pour une femme le post-partum ».
C’est, entre autres, ce que demande une pétition en ligne, lancée après l’avènement de #MonPostPartum : « une campagne d'information visant à sensibiliser l’entourage aux enjeux du post-partum et à ses responsabilités envers une femme en situation de post-partum »