Quinze adultes. Attablés. Sur le nez, ils portent un masque transparent. Un morceau de scotch marron collé sur chaque verre, la vision centrale est impossible. Leurs mains nagent dans des gants de jardinier, ils tiennent maladroitement une paire de ciseaux. L'exercice n'est pas simple. Les consignes sont strictes, comme à l'école. Découper un carré dans du papier de soie et le coller sur une feuille. Les cinq minutes imparties terminées, Amélie Gape, enseignante et formatrice, lance : « Alors, ça fait quoi d'être dans la peau d'un enfant dyspraxique ? ».
Dimanche 10 octobre, Paris, Porte de Pantin, il est 14h00. Le 2ème Atelier du Comité Interdisciplinaire d'Etude de la Dyspraxie débute. Troubles du développement moteurs, dysgraphie, troubles oculaires, de la parole, orthophoniques ou encore logicomathématiques, tous se réunissent sous ce handicap et sont peu souvent détectés. Mais Amélie est là pour eux. Elle informe et forme les enseignants à intégrer les dyspraxiques au sein d'une classe : « Donner une définition, c'est bien gentil, mais il faut mettre les professeurs en situation de Handicap. C'est le seul moyen pour qu'ils n'oublient pas. » Elle-même a deux enfants atteints de ces troubles.
Laure Favier, coordinatrice de l'association "Dyspraxique Mais Fantastique" (DMF), ajoute : « Ce handicap est invisible et peu connu du grand public. Ces personnes ne peuvent pas exécuter de mouvements déterminés de manière automatique.”
Poonam à 16 ans. Elle est lycéenne à Paris et témoigne : « L'année dernière, certains élèves de ma classe m'ont traitée d'OGM (Organisme Génétiquement Modifié). Je suis différente et beaucoup d'élèves ont du mal à m'accepter. Je travaille avec un ordinateur en classe et certains sont jaloux. C'est plus facile pour moi de taper sur des touches que de tenir un stylo. Je suis épaulée par une assistante de vie scolaire. Elle m'aide à garder le rythme et elle me facilite certaines tâches. Je suis bonne élève si je dispose de tous ces éléments autour de moi. J'ai réussi à avoir le soutien de professeurs tout au long de ma scolarité mais ce ne fut pas toujours le cas. Eux aussi pouvaient se montrer méprisants. »
Le trouble de Poonam est visuo-spatial. Elle ne coordonne ni les chiffres ni les lignes et les figures géométriques lui apparaissent décalées par rapport à la réalité. En revanche, elle a une notion de profondeur très aiguisée. Atout qu'elle utilise volontiers lors d'analyse de plans cinématographiques, option qu'elle a choisie au lycée. Elle a déjà réalisé plusieurs courts-métrages. Médicalement, une orthophoniste l'aide à soigner ce trouble qui est censé disparaître. Seule inconnue, le temps de sa guérison.
Dans la salle, l'ambiance est intimiste. Chacun échange à son rythme. Il n'y a pas de solution universelle et l'expérience d'autrui fait foi. Spécialistes et parents écoutent et tâtonnent avec un but commun, le bien être de leurs enfants. Présent à l'atelier, Philippe Liotard, sociologue, se penche sur l'évolution de l'enfant dans ses rapports à lui-même et aux autres. Maladresse, incompréhension de la situation, lorsque l'enfant dyspraxique n'est pas détecté. Ce qui en résulte, pour le sociologue, une perte de l'estime de soi qui peut le conduire à l'échec très vite. La prise en charge de l'école dans les cas reconnus, dont le recensement est estimé entre 3% et 6% de chaque classe d'âge, n'est pas manifeste.
M. Baratault, inspecteur à l'Education Nationale, s'est déplacé pour participer à cet atelier. Chargé de l'adaptation à la scolarité des enfants handicapés il n'apporte pas de solutions. Il souligne que l'intégration peut se faire au cas par cas dans des classes dit d'enfants “normaux” et que, par ailleurs, il existe déjà les classes d'adaptation scolaires (CLIS) présentes dans de nombreux établissements. Pas d'autres solutions pour le moment mais l'état semble à l'écoute.
L'adaptation scolaire, Vincent raconte son combat de deux ans pour préparer l'entrée de sa fille au collège : “ Nous avons la chance d'avoir un collège à 100 mètres de la maison. Nous avons rencontré la direction du collège ainsi que des professeurs à plusieurs reprises. La veille de la rentrée, nous nous sommes rendus compte lors d'une derrière réunion que certains s'étaient bien informés sur ce handicap. Il a même été proposé des dispenses de matières.”
Un premier pas vers la reconnaissance : la loi du 11 février 2005 où La dyspraxie est enfin reconnue comme un handicap.
En attendant d'autres avancées, l'association DMF a trouvé un parrain à la hauteur de son engagement, le chanteur Renan Luce. Présent aux ateliers, il soutient ce handicap partout dans ses tournées. Les murs des lieux où il se produit en concert sont placardés d'affiches d'informations et son intérêt pour cette cause est réel : “Ma sœur a eu une scolarité difficile due à un handicap. Je me sens concerné et si je peux porter ne serait-ce qu'un petit peu de ce fardeau, je le fais volontiers.”
Laura BITTOUN, Journaliste Rédacteur Bimédia
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